“A M…, ville importante de Haute-Italie, la marquise d’O…, dame d’excellente réputation, veuve et mère de plusieurs enfants, fit savoir par la presse qu’elle était, sans savoir comment, dans l’attente d’un heureux événement, que le père de l’enfant qu’elle allait mettre au monde devait se faire connaître, et que, pour des considérations d’ordre familial, elle était décidée à l’épouser”.
Les épreuves de la marquise, grosse “sans savoir comment”, chassée par sa famille et mise au ban de la société ont toutes les apparences du mélodrame. D’où vient pourtant la grâce singulière qui émane du récit, dès les premières lignes ? De l’auteur on connaît surtout Le prince de Hombourg et Penthésilée. La Marquise d’O. fut adaptée par Eric Rohmer au cinéma il y a 30 ans.
Kleist, dont on connaît surtout les œuvres dramatiques, a aussi écrit des nouvelles, dont la plus connue est La Marquise d’O. En voici donc une version scénique.
C’est du théâtre et en même temps ce n’est pas du théâtre : c’est un récit dramatique. Il faut imaginer un procédé narratif d’une rigueur aussi stricte qu’un quatuor à cordes, avec des envolées symphoniques où le thème s’impose, mais il faudrait dire : quintette, car les comédiens sont au nombre de cinq.
C’est une quête scénique sur la façon de jouer et de vivre une histoire qui semble désespérément sans issue. Et comment retrouver la paix quand les circonstances n’ont rien de paisible. Kleist ne donne pas une vision apaisée de l’homme. Fureur, désir extrême jusqu’au foudroiement, dominent les héros et les héroïnes de son œuvre.
Poussant la langue vers les confins de l’indicible, il est encore aujourd’hui celui qui nous défie en exprimant l’homme tel qu’il est effleuré par l’éclat divin et marqué par l’inhumain. Tournant le dos aux idéaux esthétiques des classiques, il n’a cessé de revenir à la déchirure originelle qui l’a hanté jusqu’à sa mort volontaire : le bonheur, à quel prix ? Une faute, comment la réparer ? L’homme, que devient-il quand tout se retourne contre lui ?
Dans La Marquise d’O., tout ceci est traité avec une espièglerie qui ne manque pas d’humour. Nous assistons, dans l’intimité d’une famille, à l’irruption d’une chose inconcevable, dépassant le raisonnement des uns et des autres, qui met tout et tous à rude épreuve.
Texte publié aux Éditions Mille et Une Nuits (traduction française Dominique Laure Miermont), département des Éditions Fayard, 1999.
Adaptation de Lukas Hemleb.
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