Ygraine et Tintagiles en haut de la colline regardent le château malade, construit au fond de la vallée, au plus profond d'un cirque de ténèbres. Tintagiles vient d'être ramené. Il est revenu en bateau. C'est la Reine qui l'a fait venir. Ygraine ne le savait pas. Le château est sous la domination de cette femme vieille, grandmère des enfants (Tintagiles, Ygraine et Bellangère). On ne la voit jamais, on la dit énorme. Elle vit dans la Tour, toutes les portes sont fermées. Ygraine et Bellangère vivent depuis toujours là, elles se trainent ici depuis notre naissance, avec leur vieux maître Aglovale, le dernier ami qui leur reste.
La Reine veut Tintagiles et finira par l'arracher à Ygraine, dont la résistance, le courage et la force ne suffiront pas pour sauver l'enfant. Sitôt qu'on cesse d'imaginer ce qu'on lit, qu'on cherche à voir au lieu d'entrevoir, qu'on tâche de l'édifier – ne serait-ce que mentalement – sur une scène, d'en dresser la représentation concrète, on sait bien que cela même auquel on veut donner corps, se dérobe et disparaît. C'est le mystère Maeterlinck. Et pourtant tout est simple, tout est court, n'avance pas plus loin qu'au bord d'un abîme tout proche, que l'on se refuse à qualifier, la mort, le néant, ou la vie.
Comment habiter ce parage sans couleur ni contour, mettre sur le théâtre ce qui le fuit tout en l'appelant ? Cette gageure m'intéresse non par goût d'un défi esthète, mais parce que le trop plein d'images m'y amène naturellement, parce que la question du théâtre tout entier s'y pose d'une manière évidente quoique discrète, et parce que certaines rencontres ont eu lieu, récentes mais propres à faire changer de cap ou à préciser la trajectoire, je ne sais. La rencontre avec certains comédiens qui vous inspirent un autre répertoire. On parle et Maeterlinck vient dans la conversation. On lit ou relit et on s'y arrête. On lit Le Trésor des humbles et on s'y arrête. On recommence. On reprend ça : La Mort de Tintagiles. On sait que Claude Regy trouva la formule, le spectacle fut inoubliable. On hésite. On repousse. On y revient. On envisage quand même de le faire.
Et il y a la rencontre avec un musicien dont l'Art vous étonne. Avec Christophe Coin, nous avons fait Le Bourgeois gentilhomme. Ce fut pour moi décisif, et mon goût du théâtre musical - je sais la formule assez creuse, mais pour l'instant je préfère n'en pas avoir d'autre - a trouvé son homme. Christophe lit Tintagiles. On se dit qu'il faut le faire. Nous allons travailler et chercher ensemble, acteurs et musiciens, dans les mots et dans la musique, et faire que nos pratiques et nos outils respectifs, dressent dans l'air la forme immatérielle de Tintagiles.
Denis Podalydès
« La délicatesse des musiciens, leur maîtrise profonde apportent quelque chose de touchant et beau au spectacle. Leslie Menu, Ygraine, possède une belle présence et Clara Noël tient bien sa partition. Mais avouons-le, on reste à la porte. Maeterlinck est profond, mais il n'est pas funèbre. Maeterlinck est mystérieux mais il parle des âmes, de l'au-delà, d'une espérance. Cette dimension, Podalydès la tient à distance. Comme s'il était lui-même un petit garçon terrorisé qui craint l'envoûtement… » Armelle Héliot, Le Figaro, 22 mai 2015
37 bis, bd de la Chapelle 75010 Paris