La Princesse Maleine est une pièce du début, la première pièce d’un poète de
vingt-sept ans riche de sa solitude, de son inexpérience, de son irresponsabilité même.
Deux amants qui se perdent obscurément dans le tourbillon sans fin du silence. Elle, la
Princesse, a l’arme fatale des charmes, c’est l’éloge de la cigale, on
l’entend jusqu’au cœur de la nuit. Elle a le visage pâle mais tout
barbouillé, comme une enfant qui s’est gavée de confiture et de fruits mûrs à
pleines poignées. Lui, le Prince, a posé une main invisible sur la tête de cette fille.
Autour d’eux, une nourrice qui porte l’âme de Maleine sur la paume de sa main,
un confident qui est l’écho de l’âme du Prince, un Roi, une Reine et une autre
Princesse qui doivent faire face à leurs démons, une cour dont la raison bat de
l’aile, un enfant et un chien, des spectres, et sept béguines qui prennent en charge
le service domestique et la voix d’un peuple fantoche. La signification de toutes ces
existences ne semble se déterminer qu’au dernier moment, celui de la mort. Mais là
encore, grâce à la légèreté, la tristesse peut se réconcilier avec l’envol
d’une mouette ; loin de la mélancolie.
Maeterlinck a placé l’ambiguïté au cœur de son théâtre ; d’une
certaine manière, il avoue qu’il ne comprend rien à ce qu’il voit. C’est
un apport immense à la pensée humaine. Tchekhov, grand admirateur de l’écrivain
belge et chercheur passionné comme lui de formes nouvelles, va dans le même sens quand
il écrit : « Il n’y a que les imbéciles et les charlatans pour tout savoir et tout
comprendre ».
Yves Beaunesne
4, place du Général de Gaulle 59026 Lille