La dernière bande extraits
Note d'intention
KRAPP. - Viens d'écouter ce pauvre petit crétin pour qui je me prenais il y a trente ans, difficile de croire que j'aie jamais été con à ce point-là. (Pause)
Spirituellement une année on ne peut plus noire et pauvre jusqu'à cette mémorable nuit de mars, au bout de la jetée, dans la rafale, je n'oublierai jamais, où tout m'est devenu clair. La vision, enfin.
...mon visage dans ses seins et ma main sur elle. Nous restions là, couchés, sans remuer. Mais, sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, de haut en bas, et d'un côté à l'autre. (Pause)
(Pause) Instants. (Pause)Ses instants à elle, mes instants à moi. (Pause) Les instants du chien.(Pause).
J'éprouve face au théâtre de Beckett, une grande ambivalence. Lorsque le sentiment de désarroi et de désespoir se mêle à un puissant élan vital, il en résulte un singulier pouvoir d'attraction.
La Dernière Bande est la troisième pièce de Beckett que je mets en scène et c'est un peu comme un rendez-vous a...moureux, plein de questions, plein d'attente, où la seule certitude est la nécessité impérieuse de s'y rendre. Le doute vous envahit tout entier. La posture est inconfortable mais oh combien vivifiante.
Beckett interroge la vie , au delà des mots, des apparences. Il ne figure pas la vie , il témoigne.
Dans La Dernière Bande, Beckett utilise Krapp, le personnage de la pièce, comme un passeur. Il est ce fragile funambule perché en équilibre entre la réalité et le fantastique, entre le factuel et l'imaginaire, entre l'imagination et la mémoire.
Krapp personnage ? pas si sûr, pas si simple. Krapp est plus une figure, il nous raconte ou nous compte une histoire d'amour à rebours : mise à distance du récit.
Tel un burlesque Krapp est posé dans un monde dans lequel il a à peine prise. Décalage. Nous sommes face à un rictus qui n'a rien de commun avec de gentilles grimaces. Krapp-Beckett explore leur nuit interne. (La seule attitude possible est un rictus.)
Pierre Vincent
2, passage du Bureau 75011 Paris