Une géante, au pied clochant, porteuse de visions, écho d’une identité, des douleurs, apparaît mystérieusement dans les rues de Prague. Elle est le temps, la mémoire de la ville. Elle recèle la mémoire des victimes inconnues, des enfants de Terezin, de Bruno Schulz, de nos proches et lointains disparus. Elle porte la révolte, les larmes des vivants et des morts.
Quand elle apparaît, dans chaque quartier de Prague, elle transcende l’instant présent, le met en suspens. Elle fait resurgir le passé, l’invisible dans le visible. Elle relie les vivants et les morts. Elle apaise la douleur des humains. Elle est faite « de larmes ». Cette géante est « plurielle, elle n’a pas de visage ». Elle se fait hasard, chance, poésie, pitié, beauté. Elle ne s’arrête jamais. Elle est déjà ailleurs, peut-être dans une autre ville.
" Elle va partout, elle n’habite nulle part, elle hante tous les lieux. Or les textes aussi sont des lieux. Ils sont les endroits où s’illuminent la solitude, l’absence, où stridule le vide, où chante le silence. Un instant la vie est là, et nous sommes au monde. Nous nous tenons au vif, au mitan du monde, dont il nous semble frôler enfin le sens et la pleine beauté. Un instant la vie est là, lumineuse, et le monde nous est offert.
Cela ne dure pas, mais cela laisse des traces, runes d’amour fou gravés au profond de la chair, de la mémoire, et du désir de la pensée. Runes qui longtemps, longtemps scandent leurs chants en sourdine dans notre sang. "
Les personnages, une fois livrés aux mots d’un livre, n’appartiennent plus à leur seul auteur, ils s’offrent à l’imagination et à l’interprétation des lecteurs, et plus encore à celles des comédiens qui se penchent sur eux pour leur prêter leur corps, leur voix. Il en est ainsi avec La Pleurante des rues de Prague, que Claire Ruppli a prise par la main, ou, plus exactement, a «incorporée».
La Pleurante est une géante au corps massif, vêtue de haillons qui enveloppent son corps immatériel, tissé de larmes, et qui marche à pas lents en claudiquant profondément ; la comédienne est toute menue, et elle a l’énergie de la « chèvre de Monsieur Seguin » (un de mes personnages littéraires préférés), une énergie à la fois ludique, follement éprise de liberté, et tragique. Cette différence d’apparence est pulvérisée par, précisément, l’énergie de la cabrette Claire Ruppli qui donne à la Pleurante une présence vive, insolite, vibrante.
Pour avoir assisté plusieurs fois à son spectacle, j’ai pu apprécier l’intimité que la comédienne a créée avec son personnage, son intelligence du texte, sa rigueur, et admirer son inventivité chaque fois renouvelée.
Sylvie Germain
Mot de l'adaptatrice
En chacun de nous vit un livre qui ne demande qu’à s’ouvrir, qu’à vivre, qu’à s’écouter. La Pleurante des rues de Prague est l’un d’entre eux. Sylvie Germain est une conteuse prodigieuse dont l’écriture procède d’une nécessité vitale : « aller à la rencontre des autres qu’on porte en soi et qui y ont laissé des traces ». Passeuse à mon tour de ce texte, c’est à haute voix que je lui rends grâce, avec ce besoin de le faire résonner.
Si le théâtre est « un lieu où tout peut advenir », il est celui-là qui peut accueillir au mieux les pas de cette géante, entre ombres et vivants, visible et invisible. « Cette inconnue qui donc est-elle ? Une vision , elle-même porteuse, semeuse de visions. Une vision liée à un lieu, émanée des pierres d’une ville. Sa ville Prague ».
Ce texte raconte l’extrême présence au monde, et sa langue dont le souffle est musical et lyrique incite à le porter dans l’espace du théâtre. Cette Pleurante est à la fois présente et son «visage est l’effacement de milliards de visages». Le plateau du théâtre est ce lieu où l’on est plus que présent quand on accepte d’y être totalement autre, et donc de s’effacer à soi-même pour être passeur des mots des autres.
Les mots sont autant d’échos de la langue écrite, à écouter dits, chuchotés, multipliés par la voix et son souffle. De ces mots qui vous chavirent le coeur et qui traduisent la langue de l’âme, de ces silences qui nous rappellent être en vie, de l’urgence à ranimer en soi un passé indélébile mais perdu, naît le devoir de transmettre, de re-présenter, c’est pourquoi je joue ce texte.
Claire Ruppli
« Une étonnante partition » Politis / Gilles Costaz
« Très beau et très fort... » La Marseillaise / Henri Lépine
« Une révélation. » La Croix / Bruno Bouvet & Didier Méreuze
« Sobre et efficace » La Provence / Mélanie Vives
« Une interprète magistrale » Midi Libre
« Elégante et musicale avec grâce » La Vie / Christine Monin
3, rue des Déchargeurs 75001 Paris