Résumé
Note d'intention
Les personnages
Références
Les rituels
Pistes de lecture
Extension du texte
Les symboles
«Si le fou s’obstinait dans la folie, il deviendrait sage». William Blake
« Il paraît qu’on apprend pas à mourir en tuant les autres. » Chateaubriand
Ces trois femmes n’ont pas d’âge. Leurs cheveux sont de fils blancs. Leurs joues sont roses comme des sucettes à la fraise. Elles sont des vieilles femmes infantiles mais peuvent tout aussi bien être des fillettes trop mûres. Elles vivent sur un îlot qui constitue une petite planète aquatique sur laquelle on débarque mystérieusement.
Déterrer des secrets avec une spatule en fer, rafistoler des émotions et des manteaux avec du fil et une aiguille, ressasser des nouvelles avec un coquillage, voilà leur lot.
Les deux hommes, le fou et l’hidalgo, sont comme des poissons volants qui se seraient échoués sur cet îlot. Le fou incarne les restes du rêve masculin de ces trois créatures. L’hidalgo est un peu leur part féminine qu’elles ont abandonnée.
Ensemble, ils jouent à de drôles de jeux…
« Il y a trois sortes d’hommes : les Vivants, les Morts et ceux qui vont sur la mer. » Aristote
Dans un monde troublé, entre vie et mort, entre terre et mer, entre illusion et réalité. Trois femmes, des naîades, des sorcières-confidentes, des mères-sœurs-amantes, emplies de rancœur, embuées de tendresse, jouent et rejouent la comédie, imposent et composent leur tragédie comme des fantômes tapis dans l’ombre de nos fantasmes.
Elles renaissent à la vie et disparaissent avec leurs souvenirs, leur violence, leurs failles. Eclats de l’imaginaire, ces êtres manipulent, manigancent, sèment la terreur avec un humour dévastateur.
Un fou et un hidalgo les côtoient, les supportent, les élèvent au rang de maîtresse-dominatrice et c’est l’humanité de leur univers qui vacille.
Cette fable cassée, abîmée par l’inconstance brûlante de ces êtres est comme un rêve-cauchemar, une vision incontrôlable de nos peurs enfantines, écueil voilé du souvenir que le théâtre par la grâce des mots prononcés, avalés, régurgités, peut transformer en présent pour toujours.
William Mesguich
- La veuve : Antonia Dolorès
La veuve est « la reine des tombeaux ». Dans cette pièce, elle n’existe pas vraiment en tant qu’individualité mais plutôt en tant que membre du trio qu’elle constitue avec ses deux comparses. C’est un peu comme dans un orchestre, chaque instrument dépend de la partition des autres.
On découvre donc ces trois femmes par le biais de leur rapport des unes avec les autres. Des rapports troubles, tourmentés, agressifs, jaloux, envieux, bref des rapports de disputes et de querelles permanentes.
La veuve a une occupation bien précise. Elle est dans l’action. Elle prend soin de son cimetière miniature. Elle taille et peint les petits arbres, elle arrange les croix… Par ailleurs elle choie les corps des morts qu’elle reçoit.
-La couturière : Maria Angustia
La couturière « se prend pour la costumière de l’univers », « elle habille le monde ». Elle aussi dépend des deux autres. Elle aussi n’a de cesse d’être en conflit avec ses deux comparses. Elle aussi a une occupation bien précise. Elle travaille sur sa machine à coudre. Elle confectionne des manteaux, des manteaux de mer pour les hommes et surtout pour les morts…Elle les en revêt lors du rituel mortuaire. Tout comme la veuve, elle travaille avec ses mains. Elle fabrique.
-La commère : Lola Comadre
La commère « récolte les secrets des gens », elle « les fait rêver », et « s’occupe à les distraire et à les mettre à bout, c’est vrai». Elle écrit aussi les discours pour les morts. Elle est toujours munie de son gros coquillage surplombé d’une antenne, c’est son outil de travail. Elle ressasse, raconte, rapporte. Elle ne travaille pas autant avec ses mains que les autres, elle écoute. Elle est la plus bavarde et la plus en verve, peut-être aussi la plus directe des trois. Elle entretient une relation de dominante-dominé avec le fou.
-Le fou
le fou n’a pas de nom propre. Il est nommé par son état et sa fonction. Amuseur de ces dames, souffre-douleur, marin-médecin, ami-amant, il revêt plusieurs casquettes, normal puisqu’il est là pour jouer et amuser. Il subit mais s’amuse de la situation. Lors du mariage, il est l’investigateur du mariage collectif. C’est également lui qui prend l’initiative de la tentative d’évasion à la fin de la pièce. Les trois femmes semblent fantasmer sur lui, elle se raccroche à cette idée de l’amour.
Le fou incarne les restes du rêve masculin de ces trois créatures.
Un travail peut être mené autour de la figure du fou dans la littérature. Qu’est ce qu’un fou dans l’imaginaire collectif, à quels autres personnages peut-il faire référence ?
- L’hidalgo
Lui non plus ne porte pas de nom propre mais un nom masculin qui est une contraction de « hijo de algo » c’est-à-dire fils de quelque chose (qu’il sera dans la pièce). C’est aussi le nom qu’on donne aux nobles en Espagne. Ses appellations varient selon l’humeur des femmes : « hidalgote » revient souvent.
Lui aussi endosse plusieurs rôles. Il arrive en diva pleine de plumes et de coeurs en peluche, puis se change en mouette, en médecin, en fiole et enfin en fils. Drôle de parcours. Il aime particulièrement se travestir et peut-être est-il le seul à se convaincre d’être vraiment ce qu’il joue chaque fois. Il a de l’affection pour ces femmes. Il incarne un peu la part féminine qu’elles ont abandonnée. L’hidalgo abolit la frontière qui existe entre homme et femme, elles-mêmes ne savent pas ou le situer : « toi tu n’es ni homme, ni femme »dit Lola, « ou les deux » dit Antonia, « c’est pas clair »surenchérit Maria.
Les rapports des personnages partent toujours d’un conflit. Les conflits n’ont pas toujours de logique propre. Ils sont en chaînes. On ne sait pas toujours d’où part le coup : l’une des femmes peut enfoncer l’autre alors qu’elle semblait être bien avec elle juste avant. Elles ne se répondent pas toujours lorsqu’elles s’attaquent. L’une agresse l’autre et la troisième agresse celle qui vient d’agresser ou celle qui se fait agresser.
De nombreux moments dans le texte peuvent être relu en essayant de comprendre qui attaque qui. Il y tout de même quelques constantes : Maria et Lola se disputent souvent, et Antonia et Maria aiment se liguer contre Lola.C’est un jeu. Elles jouent en permanence. Il n’y a que quand elles dorment et qu’elles « partent dans leurs comas » (visions 10 11), qu’elles sont vulnérables et « sincères ».
Ce qui les relie, ce sont leurs rituels. Toute la fin de la pièce met en scène le rituel de la mort. Le reste devient alors sa préparation. Son pendant est le mariage, parodié et maladroit peu habituel pour elles. Les hommes sont des pantins, des amuseurs, des jouets qu’elles manipulent jusqu’à la mort.
Plus que des femmes ce sont des créatures. Elles en rappellent d’ailleurs d’autres (cf mythologie).
Le fou et l’hidalgo se querellent aussi, on ne peut pas dire qu’ils s’entendent bien, ils se supportent et se rassemblent pour échapper à l’îlot. La neuvième vision aide à mieux comprendre leur rapport. (L’intérêt de ces dialogues qui fusent est de donner un style incisif et comique qui laisse la place au jeu. )
Vous pourriez imaginer une dispute entre les trois femmes, sur ce même mode rapide et grotesque, en montant Maria et Lola contre Antonia, puis une dispute générale en rebondissant chaque fois sur la réplique précédente.
Mais aussi comme dans la troisième vision, une scène où Lola persécute le fou avec ses histoires de commère.
En même temps elles peuvent s’apparenter à des Danaîdes, les filles du roi de Libye Danaos, qui tuèrent leurs maris. Dans leurs bons jours, on pourrait aussi les voir comme des Naîades, belles nymphes des eaux ou des Néréides, nymphes de la mer… Dangereuses comme des Bacchantes, à la fin du mariage, le fou devient leur Orphée… D’autres résonances parcourent le texte, il peut être intéressant de les chercher.
Kantor, grand metteur en scène polonais, créateur du Théâtre Cricot 2, a « inventé » le théâtre de la mort.
Kantor dit :
« vers la fin de mon œuvre, j’ai ajouté ce second mot : l ’Amour
La Mort et l'Amour
Il faut les accepter tous les deux,
La Mort est l’irrévocable fermeture de la Porte
L’Amour célèbre sa fête, son rituel séculaire
La Mort y est présente. »
Cette pièce suit ses traces à sa manière, dans une autre époque et dans un autre contexte. De la mort oui, et de l’amour, même si c’est dans son impossibilité, car dans « La veuve… », chaque moment sensible est balayé par la farce qui est ici une vision de la mort.
Dans cette pièce Eros et Thanatos se répondent et se moquent l’un de l’autre. Personne ne gagne. Les femmes ne gagnent pas plus en tuant que les hommes en mourant. Il y a, à un moment donné, des bourreaux et des victimes. Mais la mort devient insensible. Elle est ritualisée comme une chose qu’on doit faire bien, sans moralité, sans jugement de valeur. En cela la fable devient un rêve-cauchemar dont on s’éveille lorsque le rideau se ferme.
Si vous ne connaissez pas le travail de ce grand monsieur, ce sera l’occasion pour vous de découvrir ces écrits, ses pièces filmées, et les livres qui évoquent son œuvre.
«Je me revendique de ce théâtre mêlant farce, rêve, métaphysique et grotesque. Le monde n’est pas sérieux, rions de lui, et prenons en compte son inassouvissement».
Ces mots racontent mieux la pièce qu’un long discours mais il est important d’en peser chacun.
La farce, etc. La farce est un genre en soit. C’est une forme courte, comique et populaire où le jeu est à l’honneur.
« Une farce onirique et meurtrière », comme est intitulé la pièce, c’est encore autre chose. Il s’agit d’un mélange de genre. L’onirisme, dans son sens médicale et qui correspond tout à fait aux personnages, renvoie à « une activité mentale pathologique faite de visions et de scènes animées, telles qu’en réalise le rêve ».
Ajoutez à cela une pointe de grotesque : «comique de caricature poussé jusqu’au fantastique et à l’irréel» et un zest de métaphysique et vous obtiendrez une définition de la pièce. Mieux vaut en revenir aux mots de Wietkiewicz. Il est impossible de donner une définition précise d’un texte car il est un mélange, un enchevêtrement de pensée et de code.
Néanmoins, il peut être fort amusant, de chercher les éléments qui se rapportent à chaque « catégorie », ou à chaque « genre ».
Disséquer un texte permet de mieux l’analyser ensuite.
Qu’est ce qui est grostesque (caricatural) ?
Qu’est ce qui est onirique ?
Qu’est ce qui est métaphysique ?
Qu’est qui est farcesque ?
Il y a deux rituels, le mariage (huitième vision), imprécis, rapide, maladroit, et le rituel mortuaire (seizième vision), quant à lui précis, méthodique, efficace, qui occupe toute la fin de la pièce.
En amont il serait intéressant d’imaginer quels vont être les éléments qui font signes, c’est-à-dire qui rappellent ces rituels connus mais qui sont ici détournés, et comment le sont-ils.
Lors du mariage, le témoin, l’hidalgo est remarquable dans cette fonction car il porte une pancarte « témoin ». Les costumes peuvent aussi être une piste riche en invention. Comment traite-t-on la couleur ? Les didascalies proposent un jeu sur le noir et blanc. Qu’y-a-t’il d’autre de possible ?
Lola joue la maîtresse de cérémonie, autant dire qu’elle symbolise le prêtre ou le maire.
Vous pourriez réinventer la scène du mariage. Elle devrait contenir un rebondissement dramatique (qui là était le fait que le fou veuille se marier avec les trois) et une issue tragique.
En ce qui concerne le rituel de la fin, les répliques qui précèdent son commencement sont parodiques.
« Le fou : pour qui sont ces trous ? Pour qui sont ces mots ? Pour qui sont ces habits ? »
Ou bien encore
« L’hidalgo : Il est doux, il est sage, il est bien De n’être plus, de n’être plus rien… » bis repetita
La répartition des tâches des femmes est elle aussi «décalée». Nous sommes en plein farce grotesque. L’étude du texte peut permettre de « démonter » la manière dont tout cela se produit. Chaque étape peut être l’occasion d’inventer son propre rituel. Par exemple pour le lâché de phrases, d’autres épitaphes peuvent être inventées.
La première partie d’un dossier pédagogique permet de préparer les élèves au spectacle. Il serait pour cela intéressant de leur proposer d’imaginer des pistes de mise en scène et de choix artistiques. C’est-à-dire d’anticiper eux-mêmes le travail de mise en scène qui est en cours car il s’agit d’une création, et d’ensuite, aux vues des idées récoltées, confronter et comparer ces pistes avec celles qui ont été choisies par le metteur en scène.
Le décor : A quoi va ressembler la scène ? Quel décor ? Quels éléments de décor ? Vous pouvez dresser une liste de tout ce qui est nécessaire pour jouer (accessoires indispensables). Quelle idée de départ choisir ? Où faire les entrées, les sorties ? Où vont les personnages quand ils ne jouent pas ( en coulisse, à vue…) ?
L’univers des costumes : quel parti prix prendre ? Quel type de costumes, à quoi peuvent ressembler les trois femmes ? Et les deux hommes qui jouent différents rôles (l’hidalgo en mouette, en fiole…) ?…
L’univers sonore : Quel type de son utiliser ? A quels endroits ? Vous pouvez réfléchir à ces moments en relisant le texte en ne pensant qu’à cela : les ambiances sonores.
Les lumières : comment éclairer la scène? De manière intime, spectaculaire ? Quelles gammes de couleurs peut-on utiliser?
Le jeu des personnages : Ont-ils des caractéristiques spécifiques ? des tics, des façons de parler particulières?
Sur le texte lui-même, nous pouvons aussi imaginer un travail d’écriture qui consisterait à inventer la genèse des personnages. Comment ces femmes sont arrivées sur l’îlot ? Que faisaient-elles avant ? comment sont-elles devenues des « meurtrières » ?
« Les mérous », entité obscure évoquée à plusieurs reprises, dont vous pourrez relever les occurrences, peuvent faire l’objet d’un développement. Dans le texte les mérous restent mystérieux et offre différentes interprétations possibles. Qui sont-ils vraiment ? Que font-ils ?
Quels sont leurs rapports avec les femmes ? Avec les hommes ?
De nombreux symboles sont présents dans le texte. La couture, la fiole de l’hidalgo, la mouette, le cimetière miniature, le coquillage…tous ces éléments peuvent faire l’objet de recherches et de développement pour donner d’autres éclairages au texte.
10, place Charles Dullin 75018 Paris