Le Cas de la famille Coleman, dresse le portrait drôle et cinglant d’une famille comme les autres : monstrueuse. Les cris, les coups-bas sont de mises, et nous plongent dans l’indigne décadence de cette tribu.
Le Cas de la famille Coleman raconte les tribulations d’une famille marginale en Argentine. Entassés les uns sur les autres dans un appartement délabré, chacun semble au bord de l’explosion et près à commettre le pire. La pauvreté, l’endettement, les privations et les frustrations sont le centre de toutes les préoccupations, la cause de toutes les difficultés et maintiennent la famille dans un étau nauséabond et mortifère. La convalescence, puis le décès du pilier familial que représente la grand-mère, va ébranler toute cette organisation pour redistribuer les rôles et les priorités. Chacun des personnages va chercher à sauver sa peau, à tirer son épingle du jeu et à fuir loin de ce cocon malsain. Cette disparition délite alors tous les liens et laisse place à un égoïsme primaire noué dans une pulsion de survie.
« Le Cas de la famille Coleman est une pièce qui a longtemps résonné en moi après sa lecture.
Comment considérer la gestion du handicap au sein même de la famille ? De quelle manière aborder la question de la charge qu’il représente pour ses membres ? De quelle façon est-il possible d’aborder la culpabilité qui découle de certains de nos choix ? Avons-nous pour obligation de rester loyal et intègre à notre lignée ? Quel en est le prix à payer ? Existe-t-il un moyen véritable de se défaire de son histoire familiale ?
Tels sont les thèmes et les questions, inscrits au coeur de nos problématiques sociétales et de notre actualité, que je voudrais soulever. Car dans une société où les liens familiaux se distendent et se perdent, ces enjeux-là me paraissent essentiels et se doivent d’être éprouvés au sein de l’espace théâtral.
Le premier acte se présente sous le registre de la comédie. Le burlesque et la farce plongent le public dans la cacophonie de cette famille. Un brouhaha anxiogène et étouffant se met en place et nous plonge au coeur de l’atmosphère d’angoisse qui règne dans cette maison. Cette première partie se construit comme une partition musicale, traversée par de grands mouvements musicaux faits de crescendos, de tensions et de suspensions. Le tempo, la pulsation de cette famille résonne comme une bombe à retardement, siffle telle une cocotte-minute prête à exploser.
Puis, le deuxième acte se découpe en quatre journées. Le temps prend alors la forme d’un compte à rebours qui se resserre autour d’un secret. La question de sa révélation enferme la pièce dans un étau de tensions et met à nu ce que certains des personnages contiennent de pire. Le vernis comique se craquelle peu à peu, laisse place aux malaises et aux névroses de chacun, aux petits compromis et accords tacites qui sommeillent sous l’apparente légèreté. Nous sommes soudain projetés dans un drame grinçant, dont le public devient le témoin et le complice silencieux. Le rire arrive alors comme une soupape, seul moyen de ne pas pleurer.
L’acteur est pour moi le centre, l’axe principal, dont la mise en scène doit découler. C’est celui qui va construire l’espace, porter l’action vers l’émotion, transposer le réel. La direction d’acteur doit jouer sur la frontière ténue qu’il y a entre le pathétique et le comique et la lecture des personnages doit s’élaborer selon le prisme de leurs histoires personnelles. Ainsi, il s’agit pour moi de représenter la dualité qui les anime, de révéler leurs aspects attachants et la part d’ombre qui les habite.
La scénographie se compose d’éléments de bric et de broc, d’objets entassés, cassés, dysfonctionnels, d’éléments hétéroclites. L’état de délabrement dans lequel est plongée cette famille dessine l’espace comme un naufrage. La misère affective qu’abrite cette famille, nous impose de créer un intérieur laissé à l’abandon, et à la dérive. Ce territoire renferme une histoire qui s’écrit dans la violence, figée dans le passé, et que tous les personnages souhaitent désormais conclure. Une vieille télévision, allumée en permanence, témoin fidèle et passif, ponctue de ces feuilletons et publicités, l’effondrement inéluctable de cette famille.
La mise en scène donne corps aux liens invisibles et à l’étrangeté qui se niche dans les rapports filiaux et fraternels de cette famille. Les cauchemars qui habitent ces personnages, les spectres qui peuplent cette maison sont représentés, visuellement, dans l’espace scénique. Ils vont brouiller les pistes, perdre le spectateur en examinant sans cesse les notions de réalité et de folie, de vérité et de mensonge, du rationnel et de l’irrationnel.
Avec ce spectacle, je cherche à sonder l’être humain et à voir, dans son cheminement, un miroir de la société qu’il bâtit. »
Johanna Boyé
30, rue du Chevaleret 75013 Paris