L’histoire est connue : Rodrigue et Chimène sont amoureux. Mais le bonheur est fugace, seul le malheur traîne. Les deux pères se disputent et Rodrigue tue celui de Chimène pour venger l’honneur du sien. La belle réclame au Roi la tête de son amoureux. Rodrigue transgresse l’ordre militaire et revient couvert de gloire, nanti du titre de “ Cid ”. Sa victoire sur les Maures oblige son roi au pardon mais ne change rien à la détermination de Chimène.
Toute l’action du Cid est sous-tendue par un puissant conflit moral, le célèbre dilemme cornélien qui fait s’affronter dans l’esprit des principaux personnages deux valeurs majeures, deux impérieuses postulations : l’honneur et l’amour. Ces affrontements forment le principal obstacle à l’amour pourtant bien réciproque de Rodrigue et Chimène.
« Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur,
Puisqu’après tout il faut perdre Chimène. »
Ce conflit de valeurs, puisque tout intérieur, nécessite d’être tranché par les personnages eux-mêmes. Ce n’est qu’en consentant à l’inacceptable qu’ils fléchiront et abandonneront la lutte, et c’est là que réside l’incommensurable contemporanéité de la pièce : c’est dans l’abandon que commence à se lever ce qui nous constitue chacun personnellement.
J’aime l’idée d’un Cid paralysé à l’idée de devoir combattre le père de Chimène, le Comte de Gormas, mais qui finit par y aller, entièrement soumis à son propre père tout-puissant. En tuant le Comte, il franchit d’un coup la barrière de l’âge adulte sans devenir insensible pour autant.
Chimène et lui étaient des enfants qui n’avaient pas supporté l’enterrement de leur jeunesse. Ils avaient voulu continuer à rêver, même quand la réalité avait fracassé leurs rêves. Ils vont retourner la table et ne se soucieront pas de savoir s’il y a de la vaisselle dessus. S’il le faut, ils mangeront le placenta de Corneille. Dans une solitude neigeuse.
« C’est féroce, enchanteur et enchanté, porté par une partition musicale de Camille Rocailleux. Yves Beaunesne propose une version séduisante du Cid. Il y a, outre la présence de musiciens et une partition musicale d’une infinie richesse, un jeu presque naturel des acteurs, une fraîcheur qui emporte notre adhésion. Yves Beaunesne a choisi de traiter son Cid comme un conflit intergénérationnel. Il redonne ainsi de la fraîcheur, offrant une lecture dynamique, joyeuse et audacieuse de cette pièce rarement montée. » Marie-José Sirach - L’Humanité
« Le metteur en scène n’a pas cherché à dynamiter Le Cid, mais à lui rendre sa jeunesse et sa beauté. Il y a un côté rêve de théâtre dans le décor simple et aérien. Beaunesne prend la partie de la fougue et de l’amour. Et si la pièce nous parle presque comme au premier jour, c’est d’abord grâce aux acteurs qui s’approprient avec grâce et clarté les redoutables alexandrins. » Philippe Chevilley - Les Echos
Si l’alexandrin est un corset, une armure même, c’est pour mieux garantir la posture héroïque qui fait fi de la psychologie mais définit durablement un code de l’honneur qui pourrait s’appeler aujourd’hui la loyauté ou le courage. La modernité du théâtre français passe par des retrouvailles avec son passé.
L’exaltation de la fête dans ce qu’elle a de premier et d’essentiel, la bravoure à l’état brut, le courage naturel, cela aussi, c’est le chant profond des Espagnes que crie l’alexandrin, son désir d’impossible, et je plains quiconque ne l’entend pas.
Corneille est toujours ingénieux, souvent génial, parfois gênant. C’est un guerillero de l’imagination qui s’est servi de Mocedades del Cid de Guillen de Castro, mais lorsqu’il peignait la copie, elle était indiscutablement plus belle et folle après, il savait faire tourner un matériau méprisé dans la lumière afin qu’il fut beau.
Il faut se souvenir que la première version du Cid était une tragi-comédie, une saga faite de chair, de sang, de rires, de pleurs, de jalousie, de passion. Le théâtre, c’est une larme et un sourire. Avec Le Cid, c’est un torrent de larmes et un rire tonitruant.
Yves Beaunesne
1-5, place de la Libération 93150 Le Blanc-Mesnil