Les aveux de la fille Poquelin
Intentions de l'auteur
Notes d’intention d'Anne Alvaro
Le projet, préface au spectacle
Dans sa comédie noire et ultime, Le Malade imaginaire, Molière introduit un personnage de délatrice nommé Louison, écrit pour sa fille Esprit-Madeleine, âgée alors de huit ans. La fillette refuse le rôle. Quatre représentations plus loin, Molière pris de convulsions, quitte le plateau d'une oeuvre traversée par l’obsession de la mort, et meurt. En 1673, malgré la défaveur du roi, il échappe à la fosse commune, mais l’enterrement est discret et nocturne. Esprit-Madeleine Poquelin doit apprendre à grandir dans l’abjection et le déshonneur.
Fille unique de Molière et de l’actrice Armande Béjart quand les métiers d’artisans du théâtre sont encore honnis, la jeune femme découvre lors de la circulation de pamphlets divers, dont Les Intrigues de Molière et celles de sa femme ou la Fameuse Comédienne, qu’elle serait l’enfant de l’inceste, que sa mère serait la fille de Molière.
L’essayiste et écrivain contemporain Giovanni Macchia imagine, depuis des éléments authentiques, un entretien que lui accorderait Esprit-Madeleine, morte dans un implacable silence à cinquante-huit ans, en 1723. L’auteur interroge : « Pourquoi dans son désespoir ne lança-t-elle pas de hauts cris raciniens et des monologues forcenés pour répéter aux quatre vents qu’elle ne croyait pas et qu’elle n’avait jamais cru à ces infamies ? » Depuis sa retraite, de sa cage claire, couloir grillagé d’organdi blanc, l’interviewée brise le silence. Retirée du monde avec son mystère, la vestale parle enfin. Elle se dévoile, déterre les secrets enfouis.
Fidèle à la troupe de l’Odéon conduite par Georges Lavaudant, César du meilleur second rôle féminin pour sa prestation dans Le Goût des autres d’Agnès Jaoui, l’actrice Anne Alvaro met en scène la confrontation. Elle veut souligner la « diablerie pirandellienne » du projet de Macchia : sortir de son mouvement d’étude critique pour en faire « grincer les ressorts ».
Pierre Notte
D’après Le Silence de Molière de Giovanni Macchia, traduit par Jean-Paul Manganaro et Camille Dumoulié.
J’ai toujours été frappé par le profond silence qui au cours de toute son existence, entoura la personne d’Esprit-Madeleine Poquelin, unique fille de Molière, née en 1665 du mariage avec l’actrice Armande Béjart et morte à l’âge de cinquante-huit ans, en 1723. Le destin, en l’éloignant du théâtre, lui assigna dans la vie le rôle de ces personnages dramatiques auxquels, sous aucun prétexte, il n’est permis de se taire.
Toute jeune encore, elle apprit, tel un Hamlet en jupon, des choses infamantes, vraies ou fausses, sur la vie de son père et de sa mère. Au moment où, comme les autres jeunes filles de son âge, elle attendait la visite de la bonne et généreuse fée, on lui apporta de bon matin le cadeau d’une invisible sorcière : le libelle infamant intitulé Les Intrigues de Molière et celles de sa femme ou la Fameuse Comédienne. Personne ne put lui cacher le secret, partout divulgué, qu’elle était le fruit d’un mariage incestueux et que sa mère (comme certains le soutenaient) était même la fille de son propre père. Pourtant elle ne fit jamais
entendre sa voix. Pourquoi ? Pourquoi dans son désespoir ne lança-t-elle pas de hauts cris raciniens et des monologues forcenés pour répéter aux quatre vents qu’elle ne croyait pas et qu’elle n’avait jamais cru à ces infamies ? Pourquoi choisit-elle le silence ? Pourquoi s’est-elle accommodée du rythme tranquille et bourgeois d’une existence quelconque, elle que les dieux et les événements avaient appelée à respirer l’air supérieur et répugnant d’une tragédie ?
Ces questions et d’autres m’ont poussé à tracer un portrait de Madeleine à travers la fiction d’une conversation avec un interviewer imaginaire, portrait dessiné d’après nature pour ce qui est des éléments extérieurs qui le constituent, en grande partie authentiques, et dans laquelle est naturellement libre l’interprétation du personnage, de ce personnage qui n’a pas trouvé à se réaliser.
Giovanni Macchia
Ce projet est né du désir de le voir interprété par Dominique Leandri et Pierre Louis- Calixte car parmi les multiples rêves qui ont accompagné son écriture il y eut celui, le plus confiant, le plus affectueux, le plus nécessaire à ma pratique théâtrale, le désir de ces acteurs-là.
Au commencement il y a Molière
Et puis j’ai lu Le Silence de Molière de Giovanni Macchia
J’ai reconnu chez Macchia sous son apparence timide et respectueuse voulant en préambule se faire pardonner son audace à débusquer l’unique enfant de Molière
J’ai reconnu le masque du théâtre, celui qu’il prend lorsqu’il vient troubler la retraite de l’acteur qui y a renoncé
Et j’ai désiré me pencher sur l’épaule de cet écrivain qui ne s’était pas aventuré sur cette mer de l’inconnu qui est d’écrire pour le théâtre, cet homme qui s’était souvenu de l’existence d’Esprit-Madeleine et fit le rêve de l’interroger J’ai posé ma main sur sa main
Et elle tremblait
Me guidant vers d’autres signes
J’étais debout, mon squelette d’actrice affirmé dans tous ses appuis déformés par la scène et je cherchais à saisir Esprit-Madeleine
Elle se livrait
Et se dérobait
Faisant réapparaître des choses très anciennes
Des choses de l’enfance
De mon enfance au théâtre
Et Macchia – paix à son âme –
Devenait Macchia-personnage
Vague cousin d’un neveu d’un fils bâtard de Scaramouche
Etudiant en première année à l’académie des arts des perspectives dépravées
Et tombé dans la barrique pleine d’une boisson très forte qui s’appellerait le théâtre de Molière
Macchia qui cherche à savoir
Pourquoi
Pas le Théâtre
Anne Alvaro
L’Auteur s’appelle Macchia
Presque Machiavel
Et dans ce presque – un joli fil de funambule à tirer pour activer la machine Théâtre.
Tendre à l’affrontement
Donner une nouvelle forme au texte, et le sortant de son mouvement d’étude critique,
d’exégète amoureux, en faire grincer les ressorts.
Ce Monsieur qui interroge,
Ce « Macchia », au masque tatoué sur le visage,
Semble n’avoir d’autre but que provoquer saisir et prolonger ce qui sort d’ELLE –
La créature en cage.
Hantée par la question
De n’être pas
Un personnage.
ELLE est dans une apparence de paix, la petite vestale,
Retirée du monde avec son secret…
Le Théâtre menace
Il frappe aux carreaux
Il cogne à la porte
Il vient troubler la retraite
Interroger le monstre endormi.
Saisir quelle figure ?
Détourer quelle silhouette ?
Diagnostiquer quel mal ?
Entendre quelle confession ?
Absoudre quel péché ?
Il met « à la question »
Dans cette « chambre de Torture »
Lieu d’un malheur stagnant qui ne produit ni terreur ni purification
Un singe de foire sous une livrée italienne joue une diablerie pirandellienne.
La compassion alliée à la curiosité prend la forme d’une abjection diabolique et voluptueuse…
Le Diable est une figure comique
Il joue avec la pelote de tourments qui agitent Esprit-Madeleine Molière.
Qu’elle n’ait jamais existé dans le Théâtre de son père,
Qu’elle n’ait jamais JOUE avec son père,
(lors même qu’il avait écrit pour elle la vertigineuse scène de délation de Louison dansLe
Malade imaginaire), la laissant interdite de théâtre,
Serait-ce le mal qui la ronge ?
Anne Alvaro
1, Place du Trocadéro 75016 Paris