Miss Anabella, fil-de-fériste, s’est produite sous un petit chapiteau, avec ses couleurs criardes et ses attrape-nigauds. Pendant quelques instants, elle a annulé la solitude des hommes posés là les uns à côté des autres, et les a élevés au delà de la vie matérielle. « Le Cirque » trace, par la grâce d’objets simples (loupiotes, cloches, jeu de fléchettes, accordéon) quelques images suspendues, pour évoquer son souvenir. Avec des mots pleins d’humanité, l’auteur de l'« Histoire du soldat » nous parle de ce goût de vivre si précieux, qui ne cesse de nous échapper, et qui seul pourtant nous tient debout.
Le Cirque, c’est un texte pour les à-quoi-bonistes, ou pour ceux qui savent que " notre besoin de consolation est impossible à rassasier.
" Il est lumineux, il est même très coloré. Dans cette narration aux temps dilatés, l’auteur, notre co-détenu, guette avec nous l’arrivée de la lumière ; passant du " ils " à des " on " plus généralistes, à des " nous ", à des " je ". Il y a cette fluctuation sans cesse du passé au présent (du temps du récit à celui de l’incarnation) pour finir sur cette mise en abîme " et je suis moi-même tout envahi à la table où je me tiens, … et il y a une grande lumière qui vient sur moi et sur mon papier " : c’est comme quand on rallume très lentement la lumière du public après le spectacle, pour ne pas casser un fil fragile et important. Il serait un peu vain de se dire " tiens, je vais raconter cette histoire", et hop, un petit " numéro " de conteur.
Au centre de ce texte, il y a le mystère de la transfiguration. Les croyants l’entendront d’une oreille, et les athées (qui n’en n’ont pas moins une âme, remuante et interrogeante) de l’autre. Au fond, c’est toujours la même question : qu’estce qui nous aide à dépasser notre irréconciliée et irréconciliable condition ?
Ici, c’est le spectacle, modeste, merveilleux et exigeant de qui joue avec la pesanteur : c’est vers la filde- fériste qu’ils " lèvent tous ensemble la tête, la lèvent toujours davantage, quand il y a un seul mouvement de tous ces coeurs "… s’il est dit que nos lieux de théâtre soient un peu nos derniers temples… artisanaux, bien sûr. Et puis, j’ai rassemblé peu à peu quelques éléments tout simples, de ceux qu’on peut utiliser quand on est dans la proximité au public (on avait dit " une petite forme"), des choses qui me brassent toujours autant, liées qu’elles sont sans doute à l’enfance (banal jeu de mots : émotions de l’enfance/enfance de l’émotion) - un masque en carton, des petits points lumineux, un jeu de fléchettes, une robe d’enfant, mon accordéon sur son vieux caddie. Parce que les objets sont pleins de fantômes.
Et ce récit, c’est aussi un rituel de convocation qui se met en place, qui tourne autour du pot, comme on épluche un oignon, jusqu’à l’apparition unificatrice. Alors, au milieu on a placé une grande caisse- valise. Fermée au début, puis entrouverte, loge de théâtre miniature, petit tabernacle, puis ouverte tout à fait, puis traversée par l’irradience de la vision, et puis c’est fini, il reste le souvenir…
Dans cet univers du cirque, de l’artisanat, il y a de l’effort, de la répétition, du renoncement, de la douleur, du dépassement. Le texte traverse tous les cercles, et nous, lecteurs, toutes ces postures, car c’est aujourd’hui, ici,que nous lisons des mots devenus parfois suspects, celui de " pureté " par exemple ; et il y a aussi cette " condamnation de la femme ", qu’il lui faut dépasser pour réaliser sa nature...
A travers cette figure de circassienne, Ramuz rend hommage aux corps, travailleurs et travaillés - ceux des femmes, ceux des artistes, ceux pas comme les autres, à nos corps qui pèsent. Et pourtant, de la trivialité à la fabrication du mythe, c’est bien l’attente, la possibilité et la mise en oeuvre précaire et laborieuse de l’extra-ordinaire qui nous redonnent sens et vie…
Sylvie Jobert
"Et tous et toutes de retrouver leurs désirs d'enfant et de se sentir plus légers. (...) Sylvie Jobert en toute grâce, nous réunit autour d'un homme de solitude et de partage et nous emmène vers le pur mystère de l'attente et de la contemplation." Danièle Carraz, Juillet 2005, La Provence
"Sylvie Jobert crée un mini-cirque intérieur, où les paillettes sont des reflets de la douceur et de la tristesse de l'âme." Gilles Costaz, Juillet 2005, Les Echos
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