Par une nuit d'été, chaude et moite, les jeunes gens échangent leurs vêtements et leur identité. Il faudra beaucoup d'amour pour aller au bout du jeu et triompher des hasards dans lesquels ils se sont jetés.
Le mensuel du théâtre
Peut-on encore aujourdhui monter les textes classiques sans les adapter, les resituer dans la société contemporaine ? A cette question délicate, au vu de la qualité de nombre de spectacles, Guillaume Delaury répond, avec cette mise en scène dune des pièces les plus célèbres de Marivaux, positivement et dune fort belle façon. Ici, pas de grands décors ni de nombreux accessoires, il a été choisi de mettre en avant le texte. Ce texte, on le connaît bien, sans doute trop, et pourtant, on se surprend à vibrer de nouveau pour le devenir des personnages, égarés entre leur désir de contrôler leur coeur et lamour qui simmisce en eux sans quils en aient conscience. La jeunesse des comédiens est aussi sans doute pour beaucoup dans la mise en valeur du texte. On comprend bien que si Silvia, Lisette, Arlequin et Dorante succombent si facilement à lamour, cest vraisemblablement quils ne lont encore jamais connu.
Le metteur en scène parvient, à laide de jeux de lumières tout à la fois sobres et efficaces, (notamment lors du deuxième acte, où la nuit est très joliment reconstituée par une obscurité quéclairent quatre bougies, symboles des quatre personnages qui se cherchent sans encore véritablement se trouver), à créer une véritable atmosphère, intime et chaleureuse, où le public ne se sent pas exclu et participe au jeu des comédiens.
Si le texte est parfaitement mis en valeur, ce nest à aucun moment au détriment du rire. Guillaume Delaury a su parfaitement transmettre laspect comique, sans pour autant le dénaturer, et ce notamment grâce au talent dAurélie Ludot, parfaite Lisette, mutine et charmeuse, et de David Seigneur, Arlequin balourd et décalé. Ils forment à eux deux un couple de comédie comme on en rêve, qui parvient à faire rire (et non seulement sourire) le public sans avoir à entrer dans les excès de la caricature. Le reste de la distribution est au diapason, dynamique et vivace. Bien sûr, 22h est une heure quelque peu tardive, mais cette jeune compagnie offre ici une magnifique occasion de faire découvrir et aimer ce " jeu de lamour et du hasard " aux jeunes spectateurs, tout comme à ceux qui jugent que cette pièce na aujourdhui plus aucune résonance.
Frédéric Pérouchine
Mars 2000
France 3
Le Jeu de lamour et du hasard est sans doute la pièce la plus accomplie de Marivaux. Cest même, au-delà des conventions propres à lépoque, un chef doeuvre absolu et donc par conséquent une oeuvre dune difficulté absolue à monter et à jouer. La réussite du metteur en scène, Guillaume Delaury, et de sa compagnie TCM nen est que plus grande. Car retrouver aujourdhui cet esprit du XVIIIème siècle exige une subtilité de touche, une finesse, un sens du mouvement indispensables pour mettre en évidence avec naturel ce jeu des symétries du coeur. Or cest un véritable ballet de gestes et de regards qui est dessiné ici, comme pour donner aux mots leurs trajectoires de flèches amoureuses. Et puis il y a ce Jeu un palimpseste social qui se révèle avec justesse, les maîtres et les valets traversant les miroirs, sans que la mise en scène nait besoin de souligner, dinsister lourdement. Car les six comédiens se jouent des mots et en jouent comme des bulles de savon qui volent dans cette nuit dété dont cette aventure est peut-être le songe, ou le rite qui les prépare à entrer avec le jour dans la vie réelle là où lon ne se cache plus derrière lautre, là où lon arbore ses sentiments. Au contraire, dans cet espace intermédiaire où ils ne se sont pas encore dévoilés, les sentiments sesquissentà peine et nen sont que plus troublants. La jeunesse des comédiens offre alors un atout supplémentaire : ils sont là, près de deux siècles après, comme au premier jour de ce jeu éternel, celui de lAmour qui veut plier le Hasard à son désir, ou qui veut faire en sorte de croire quil a le choix. Et lévidence de leurs gestes daujourdhui dans ces costumes dhier est là pour nous redire que les chefs-doeuvre sont éternels.
Alain Duault
Janvier 2000
15, rue du Maine 75014 Paris