Alceste, malheureux, fiévreux est dostoïevskien. Son exigence est celle de l'amour à mort. Et Célimène, loin d'être sur la planète de la coquetterie, partage sa douleur. Ils s'affrontent. A armes inégales. Elle veut vivre, malgré tout. Il veut mourir. Une lecture si intelligente du texte qu'elle efface toutes les autres. C'est le propre des grandes mises en scène. Tout y est inattendu.
Une lecture tragique du Misanthrope : un pari pleinement réussi par la Compagnie " La Passerelle " . On ne se lasse pas de relire Molière, mais les relectures proposées peuvent lasser.
C'est donc toujours avec un peu d'appréhension qu'on affronte la 11ème interprétation de " l'homme aux rubans verts " alias le Misanthrope. Soyons honnêtes. On a ses marques. Devrais-je dire " ses labels de qualité " ? La Passerelle est une compagnie qui ne nous a jamais déçu. Son doublé Histoire du tigre et Pluie d'été avait figuré dans nos colonnes lors du festival 2000. Son misanthrope est un chef d'œuvre.
Alceste, malheureux, fiévreux est dostoïevskien. Son exigence est celle de l'amour à mort. Et Célimène, loin d'être sur la planète de la coquetterie, partage sa douleur. Ils s'affrontent. A armes inégales. Elle veut vivre, malgré tout. Il veut mourir. C'est le choix de la mise en scène. Lorsqu'il a lancé sa dernière réplique et gagné les coulisses, un coup de feu retentit. On se dit " mais c'est bien sûr ! " Molière ne l'avait envoyé qu'au " désert " . Michel Bruzat, le metteur en scène, a compris que ce désert ne pouvait être que celui de la mort.
Une lecture si intelligente du texte qu'elle efface toutes les autres. C'est le propre des grandes mises en scène. Tout y est inattendu. Une Célimène androgyne, à peine féminisée par un costume en cascades de mousseline dans lequel elle se débat plus qu'elle ne vit. Touchante. Oh combien ! Elle ne manipule pas. Elle se débat. Araignée, dans une toile qu'elle n'a pas tissée. Belle, si belle, dans sa fragilité ignorée. Eliante, comme Philinte, sont le contrepoids de la Raison. Ils incarnent le précepte cartésien " Changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde " . Alceste et Célimène, chacun à leur manière, voudraient à l'inverse vivre leur désir. Les autres sont des pantins, ils la miment. Que dire de plus d'une émotion tellement ressentie qu'elle suinte sans doute de ces lignes ? Claude Hennequin. (La Marseillaise du Vaucluse)
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