Un couple marié Berthe et Pierre, offre dans leur chalet, l’hospitalité à un autre couple, Marthe et Alfred. Pierre supporte difficilement la fidélité du mariage, et il se laisse aller à une forme de marivaudage amoureux en essayant de séduire Marthe qui l’attire. Elle répond à ce jeu des possibles.
Affichant son désir de libertinage, il avoue, en parlant de sa femme : « Après douze ans de ménage, je ne peux, moi qui aime tant ça, moi qui suis né exprès pour ça filer, à ses pieds, des mots d’amour. Ce serait du gaspillage ».
La séduction n’est pas un passe-temps anecdotique, mais devient une profession de foi. Il est mû par un manque, une frustration impossible à combler, le plaisir de séduire.
Cette riche bourgeoisie élitiste reprend à son compte le concept de la noblesse qui refusait le travail considérant qu’il n’a jamais épanoui l’homme et est donc indigne. Cette philosophie de la vie, qui laissait le temps libre, leur permettait d’élever la séduction au niveau d’un art ; c’était pour une certaine noblesse libertine, un jeu subtil entre l’homme et la femme, comme dans les liaisons dangereuses, ou chez Crébillon, qui montrait les codes amoureux dans cette classe sociale à cette époque, et mettait en avant les différences de perception de l’amour chez l’homme et la femme, et donc leurs comportements.
Quelques grands bourgeois vont donc imiter la noblesse, et vont s’amuser à cette joute amoureuse qui donne plus de plaisir dans ses prémices que dans sa conclusion physique. L’abandon de l’âme est plus important que celui des corps. Tout l’art de la séduction est dans la qualité du discours, la capacité à dire des compliments.
Le libertinage est plus la capacité de séduire toutes les femmes, et surtout celles qui paraissent inaccessibles ; l’abandon féminin est pour l’homme une victoire à la Pyrrhus. Elle clôt la séduction, et fait fuir le séducteur, comme Don Juan.
Sous l’apparence du respect des règles sociales, c’est évidemment une subversion des codes de la vie, où l’abandon féminin et la relation sexuelle ne peuvent se concevoir que dans une relation amoureuse régie par le mariage. C’est une forme de duplicité quelquefois assumée par les libertins. Pierre, lui, n’assume pas. C’est pourquoi, lorsqu’il perçoit que Marthe est consentante et prête à partir avec lui, il ne peut se résoudre à la suivre, car elle lui demande autre chose que cet abandon furtif d’une soirée.
Elle s’ennuie, et elle est attirée par cet homme, mais ne peut concevoir que l’échange amoureux dans un amour parfait et éternel. Pour Pierre cette joute amoureuse est un jeu sur le langage soutenu avec une tactique très efficace de séduction : complimenter avec une progression subtile, admirer, se faire admirer, utiliser l’humour, attaquer les points faibles du mari, mais en rééquilibrant par les qualités, se mettre en valeur tout en montrant une certaine lucidité et humilité sur lui-même. Toute l’étude de la psychologie de cette femme lui permet de comprendre ses frustrations et son ennui, et donc profiter de ce seul moment de sa vie où elle est fragilisée, et pourrait dépasser ses codes.
Elle est une « madame Bovary » qui s’ignore, et quand il développe son argumentation amoureuse, en parlant beaucoup de lui-même, ce qui la renvoie à sa propre situation, il lui révèle ce qu’elle est, son désert sentimental… mais elle est plus lucide qu’Emma Bovary, car elle n’a aucune illusion sur ce genre d’aventure amoureuse. La proposition provocante de Marthe de fuir avec lui, paraît lui faire peur, et révèle, à ses yeux, le réel manque d’amour de Pierre, et son incapacité à se mettre en danger puisqu’il ne se libère pas des lois du mariage. S’il avait choisi de partir avec elle, elle aurait cru à un possible amour, et dépasser cet obstacle serait devenu la preuve de son engagement. En revanche, s’il n’avait été marié, elle aurait sans doute considéré l’engagement comme non exemplaire parce que trop facile.
Il est sans aucun doute attiré par cette jolie femme, mais il n’est pas le véritable libertin et n’a pas assez de duplicité et de courage pour entreprendre une telle aventure. Le carcan bourgeois l’enchaîne définitivement. Seuls les dandys oseront dépasser les codes sociaux.
Ce qui est admirable est le jeu subtil de la tentation des deux personnages, qui s’expriment l’un et l’autre par des manœuvres infinies d’attaque, d’invite, de recul. Ils ont de nombreux points communs : une faculté à utiliser brillamment la langue française, et de jouer avec, intelligemment ; ils appartiennent au même monde, et ils s’ennuient à mourir tous les deux dans leurs relations maritales, sans avoir à reprocher quoi que ce soit, à leur conjoint.
Les codes contraignants et étriqués de la bourgeoisie de l’époque montrent toutes leurs fissures. Il y a un vide de leur existence qui est impossible à combler… même par le langage, qui dans sa progression finit par s’épuiser et conduit à une action impossible. Puisqu’ils ont un point de vue différent sur l’amour, Pierre désire que Marthe se plie discrètement à ses propres désirs : il veut bien adorer, mais pas au-delà de huit jours. Cette attitude de domination conduit à cette action avortée. Ils se retrouvent seuls, tragiquement, avec l’inanité de leur vie.
Soyez rusé, musardez. Un pain de ménage pour nourrir avec délice votre soirée ! Renard ce vieux Renard, joue et rejoue la tentation amoureuse dans une langue savoureuse, ciselée à souhait. Pas la douceur des audaces printanières, pas les aurores joyeuses des jeunesses, non. Au bord de la nuit, les ruses des séductions qui se refusent à passer, du jeu des-passés qui ne s’abandonne pas davantage au présent. Allez partager les hésitations coquettes et les émois débordés, leurs variations tendres et mordantes, élégamment interprétés par Katherine Gabelle et Alain De Bock dans cette jolie salle du théâtre de Nesle.
Soyez rusé, musardez. Un pain de ménage pour nourrir avec délice votre soirée ! Renard ce vieux Renard, joue et rejoue la tentation amoureuse dans une langue savoureuse, ciselée à souhait. Pas la douceur des audaces printanières, pas les aurores joyeuses des jeunesses, non. Au bord de la nuit, les ruses des séductions qui se refusent à passer, du jeu des-passés qui ne s’abandonne pas davantage au présent. Allez partager les hésitations coquettes et les émois débordés, leurs variations tendres et mordantes, élégamment interprétés par Katherine Gabelle et Alain De Bock dans cette jolie salle du théâtre de Nesle.
8, rue de Nesle 75006 Paris