Au sol, une ligne blanche. Derrière cette ligne, un homme commence à faire la queue. Très vite, un autre le rejoint. Puis arrive une femme. Surgit un troisième homme, puis un quatrième, le mari de la femme. Pourquoi font-ils la queue ? Peu importe ! Très vite, la compétition s’installe à qui prendra la place de tête, la tension monte, et tous les coups sont permis pour être le Premier.
Le Premier d’Israël Horovitz a été créé au Théâtre de Poche en avril 1973, sous la direction de René Delmas et d’Étienne Bierry.
« Le Premier est un truc dément » déclara un critique new-yorkais lors de la première en 1967. Dément, oui. Quand je découvre la pièce en première année au cours Florent, c’est une évidence : je dois la monter, car pour moi elle relève tout simplement du génie. Une simple ligne blanche collée sur le sol et tout est là : une situation conflictuelle, des personnages complexes, un déchaînement de passions, un dénouement surprenant. Singulière et inclassable, la pièce est à la fois un huis-clos, une comédie burlesque, une fable absurde et une tragédie moderne.
Si elle commence sur le ton de la comédie, si les gags à répétition et les répliques que les personnages se jettent à la figure suscitent le rire, le génie de la pièce est de nous faire basculer petit à petit, mine de rien, vers une inéluctable tragédie : cinq personnages, mais une seule place de tête. Seul Stephen, porté par la divine musique de Mozart, se remettra de ce terrible voyage et pourra, tel le deus ex machina, mettre fin à cette situation désespérée. J’ai choisi le Requiem pour accompagner les personnages dans leur descente aux enfers ; la prière de Mozart intervient aux moments clés de la pièce et celle-ci se termine sur ces mots : « Seigneur, donnez-leur le repos éternel… »
Quarante ans après, la pièce n’a pas pris une ride. Si elle continue à être jouée sur toutes les scènes du monde, c’est qu’elle nous renvoie à la violence d’une société de la performance et à la vie envisagée comme un match permanent. J’ai voulu me concentrer sur les personnages, sans chercher à ancrer la situation dans un contexte précis, pour ne pas lui ôter sa dimension absurde et universelle. Il ne s’agit pas de savoir pourquoi ils font la queue, mais comment, et à quel prix.
En lisant la pièce dans sa version originale, j’ai choisi de souligner l’aspect américain rétro qui détermine une certaine esthétique et renforce l’aspect clownesque et archétypal des personnages. Nous sommes partis avec les comédiens à la découverte de ces cinq énergumènes pour tenter de percer leur mystère, et le terme de « jeu » a pris tout son sens. Ensemble nous jouons. Nous jouons à être le Premier.
Léa Marie-Saint Germain, metteur en scène, janvier 2008
75, boulevard du Montparnasse 75006 Paris