Le rire du diable
Notes de mise en scène
De l'étonnement à l'indignation
Dans une petite bourgade de la Nouvelle Angleterre on attend le nouveau pasteur. On apprendra plus tard que l’ancien a disparu dans des circonstances douteuses. Par un hasard malencontreux les autorités ecclésiastiques ont nommé deux prêtres à ce poste unique : le Révérend Richard Bloom et la Révérende Gloria Burton. Pour le Comité d’accueil c’est une catastrophe : comment choisir entre un juif converti au christianisme et une femme ?
Mais tout ceci n’est que façade et chantage. Bientôt on découvrira que ce Comité n’est rien d’autre qu’un gang, une bande de crapules avides d’argent et de luxure. Le choix du candidat se fera donc sur celui qui acceptera d’obéir aux ordres.
Quand ils prennent conscience de la situation, les deux Révérends décident de s’allier pour lutter contre cette bande de voyous qui les tient en son pouvoir. Qui triomphera ?
Slawömir Mrözek a toujours traité les sujets graves avec humour. Avec Les Révérends il fait rire le diable en se moquant de nous.
Georges Werler
Les Révérends est la seule pièce que Mrozek a écrite en anglais. Il est vrai que l'action se passe en Nouvelle Angleterre. La langue anglaise était donc plus proche du sujet que la langue maternelle du dramaturge. C'est pourquoi j'ai demandé à Gilles Segal d'écrire l'adaptation française. Outre sa connaissance parfaite de l'anglais il possède l'humour si particulier des gens venus de l'Est. Je savais que l'artiste roumain enrichissait l'artiste polonais et que la mise en scène pourrait s'appuyer sur une dramaturgie juste et forte.
Il faut que la confrontation des personnages autour du problème religieux dénonce l'antisémitisme d'une part et l'anti-féminisme d'autre part. L'apparente banalisation de la religion et son utilisation comme moyen de pression doivent résonner comme une mise en garde et donner à rire au spectateur de ses propres pulsions racistes dont souvent il n'est même pas conscient.
La bande, le gang, doivent représenter une "secte" capable des pires crimes commis au nom de la religion et de sa défense. Tout peut être justifié au nom du sacré : magouilles, argent, luxure, vol, assassinat.
Une bombe peut-elle résoudre tous les problèmes d'une société en décomposition ?
Ce sont ces thèmes que Mrozek aborde et que je voudrais mettre en évidence dans le spectacle. Il n'est pas question de leçon mais d'un plaisir théâtral qui par l'humour rappelle et dénonce l'horreur que notre époque est en train de subir. Comme Brecht, j'ai envie de dire : "Je vis de sombres temps".
Georges Werler
"Depuis que j'ai vu jouer Tango, cet anti-Hamlet, il y aura bientôt vingt ans, Slawomir Mrozek m'était toujours resté mystérieux. Pour des raisons journalistiques autant que personnelles, j'avais bien essayé de le rencontrer. En vain. C'était difficile d'insister. Comment ne pas comprendre qu'un écrivain polonais qui ne pouvait plus vivre dans son pays veuille éviter les questions indiscrètes et les lieux communs ? Ne suffisait-il pas après tout, de voir ses pièces, de lire ses nouvelles, pour le comprendre et l'apprécier ?
Et puis, je l'ai rencontré. C'était étrange d'avoir devant soi cet homme brun, fort, grave, d'une gentillesse un peu distante, comme s'il voulait dissimuler et retenir la chaleur qui émane de lui. La nostalgie aussi. Difficile en le questionnant d'éviter un passé qui le rattache à la Pologne, aux espoirs de sa jeunesse quand il a commencé à écrire et à faire jouer sa première pièce, Police, tout de suite interdite. Exilé plus ou moins volontaire après 1963, vivant en Italie, il n'a pu retenir son indignation quand les tanks soviétiques sont entrés à Prague en août 1968. Il est désormais un émigré. Pas tout à fait comme un de ceux qu'il décrit dans Les émigrés, mais presque. Devenu Français, joué sur toutes les scènes, Slawomir Mrozek n'a pu renoncer à ces sources.
Elles le rattachent à tout ce courant qui, de Wiitkiewicz à Gombrowicz, a drainé jusqu'à nous cet humour noir et cette forme de scepticisme qu'on ne rencontre qu'au sein des peuples très croyants. Pas besoin pour ceux-là, et singulièrement pour Mrozek, d'avoir recours aux recettes du théâtre de l'Absurde, mises en vigueur dans les années 50. Né dans un pays catholique devenu communiste, non sans grincements de dents, Slawomir Mrozek n'avait pas le choix : à moins de donner dans tous les panneaux, il lui suffisait de malaxer la réalité et ses raccourcis symboliques pour exprimer ce que d'autres ne pouvaient appréhender que par l'intellect. Ce qu'il nomme par euphémisme : "l'esprit du temps" ou encore "la réalité abstraite", n'est-ce pas ce qu'il a puisé dans une existence déchirée, faite d'interdictions successives et de fuite en avant ?
Son théâtre est fait d'une suite d'étonnements. Et que d'étonnements en étonnements, il soit parvenu à l'indignation, quoi de plus naturel ? sauf que Mrozek se veut avant tout auteur de théâtre. Sa liberté, il la trouve dans la chance de pouvoir faire parler des personnages. Mais, depuis que je connais Mrozek, je ne peux m'empêcher de voir son ombre se profiler derrière eux.
Depuis L'ambassade une de ses dernières pièces, ne savons-nous pas que cet humoriste menace notre confort moral et intellectuel comme la statue du commandeur ?"
Guy Dumur
20, avenue Marc Sangnier 75014 Paris