«Aliocha ne savait pourquoi il embrassait la terre, il n’essayait pas de se l’expliquer, pourquoi il avait un désir tellement irrépressible de l’embrasser, de l’embrasser tout entière, mais il l’embrassait en pleurant, et jurait avec ivresse de l’aimer dans les siècles des siècles.»
Peut-on rêver un monde où nous, les hommes, au lieu de faire semblant et de vivre les uns à côté des autres, préoccupés de tout sauf de la seule chose qui nous importe vraiment – accepterions ce besoin irrépressible d’être vus tels que nous sommes dans nos profondeurs cachées et d’être mus par cette soif de l’autre « tu es donc je suis » - ces hommes tels que Dostoïevski ose les considérer dans leurs vertiges et leurs espoirs les plus fous, peut-on rêver que ce monde-là advienne ?
Peut-on attendre du théâtre qu’il nous donne le courage de croire à ce monde-là, de le voir, de l’entendre, d’y goûter parce qu’une troupe de comédiens se serait réunie pour le manifester ? Une troupe qui depuis de longues années se serait rôdée à cet exercice de vie et de travail dans le seul but d’avancer et de tracer un chemin artistique avec la chair, les combats, le talent apportés par chacun dans le chaudron de la création…
Car ces « frères », c’est nous bien sûr, Dmitri l’impétueux, mélange exalté de vice et de vertu, Ivan le ténébreux que révolte la question du sens et de la souffrance des enfants, Smerdiakov, le mal aimé, rongé par le venin de la vengeance et Aliocha, le pur… qui va devoir se salir en accueillant tout de ce monde, et qui ne trouvera la paix qu’en acceptant d’embrasser la terre mère, se rappelant des dernières paroles du Starets : « Pardonne à tous les humains pour tout. Pour tout et pour tous !»
Sans compter Fiodor, le père indigne, bouffon dérisoire et grotesque, injustifiable et dont on se surprend tous à souhaiter la mort : « ...qui n’a pas souhaité la mort du père ? » Immense et redoutable Dostoïevski, aujourd’hui plus que jamais peut-être, votre lumière nous est précieuse.
Sophie-Iris Aguettant
« J’aimerais qu’on sorte de ce spectacle en se disant : Quelle vie ! Et non pas quelle mort ! - «Quelle vie !», voilà ce que j’aime chez ces personnages. Ils ne font l’économie de rien, ils n’ont pas peur de souffrir parce qu’ils aiment la vie, non parce qu’ils aiment la mort. S’ils acceptent de tout traverser, c’est parce que ce sont des vivants qui viennent nous chercher dans des réalités très quotidiennes, dans ce que nous pouvons chacun être en droit de vivre. Mais lorsque dans cette traversée, peut sourdre un sentiment d’amertume voire de culpabilité, Dostoïevski ne porte aucun jugement, au contraire il laisse chaque personnage libre comme le spectateur ; affirmant que si l’on se perd seul, c’est toujours avec d’autres qu’on se sauve. »
Cécile Maudet, co-metteur en scène
« Le roman est bâti comme un roman policier avec un meurtre et un coupable qui n’est pas celui auquel on s’attendait. L’adaptation garde cette axe principal du livre sauf au 5e acte qui échappe à la chronologie pour entrer dans quelque chose de plus intemporel. C’est le texte ou la parole personnelle, celle de l’âme qui se dit et qui prend toute son importance. Le dialogue devient un ensemble de monologues tel un oratorio.
La traduction de Markowicz cogne au réel d’une manière plus fidèle à l’écriture de Dostoïevski. La forme est moins littéraire, c’est un parler qui nous fait entrer dans la brutalité des sentiments, de la vie. Pour la mise en scène, une certitude forte est apparue dès le départ, la présence dans le « hors jeu ». Qu’ils soient ou non sollicités dans le texte, les comédiens sont toujours en scène autour de l’espace central chacun dans sa solitude, dans son monde.
C’est un choix qui redonne la dimension mosaïque du roman. Dostoïevski arrive à nous faire suivre chacun des personnages en permanence avec l’impression que tous sont présents tout le temps. Le « hors jeu » donne cette profondeur de champ qui témoigne à la fois du mystère des solitudes et de la destinée commune. Au centre l’espace du texte, de la relation, de la vérité, du temps « réel » ; au pourtour, le temps du secret, de l’intimité, de la solitude.
A cause de cette présence permanente des personnages, peut-être plus encore que dans d’autres spectacles, la mise en scène est partie du comédien. C’est le travail de l’acteur qui a dessiné l’espace jusqu’à l’utilisation des accessoires et presque même la scénographie. »
Olivier Fenoy, metteur en scène
Merci pour ce moment hors du temps. La mise en scène est subtils, les acteurs incroyablement investis et justes; les lumières et le décor achèvent de nous transporter dans l'oeuvre. Bravissimo.
Merci pour ce moment hors du temps. La mise en scène est subtils, les acteurs incroyablement investis et justes; les lumières et le décor achèvent de nous transporter dans l'oeuvre. Bravissimo.
Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking : Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.