Composée après l’exil, cette pièce trouve sa source dans le monde picaresque et mêle le sérieux et le rire, selon le projet romantique défini dans la préface de Cromwell. Différents personnages de gueux apparaissent d’un fragment à l’autre et forment une sorte de constellation de la gueuserie, où Victor Hugo exprime ses convictions profondes quant au mépris de l’argent et à la liberté de l’homme. Ces fragments illustrent aussi sa recherche toujours recommencée de la plus grande liberté formelle. Mouffetard, Goulatromba, Gouvalagoule, Gaboardo, Maglia, autant de voleurs, mendiants, philosophes, sont repris ou inspirés d’autres œuvres du poète (la Cour des miracles de Notre-Dame de Paris, Ruy Blas, Claude Gueux, etc.) : leur gueuserie est inscrite dans leur nom même sous la forme de la lettre g. Le personnage de Mouffetard, qui ouvre le dialogue, constitue une sorte de contrepoint négatif à l’optimisme et aux illusions humanistes de Hugo : cet esprit négateur vient célébrer le mal sous la forme de l’argent et du sexe. Il est par ailleurs censé avoir donné son nom à la rue, de même que Vaugirard, rappelant l’importance de Paris comme source d’inspiration pour Hugo. Goulatromba et Gaboardo sont des personnages grotesques plus que des gueux, et ils semblent aussi interchangeables : la question de l’unité et de la cohérence de l’ensemble est d’ailleurs très souvent posée par la critique. Onufrio est l’alcoolique qui célèbre le miracle de la dive bouteille ; Fiasque et Pamfilo sont des docteurs qui s’affrontent sur des théories issues de différentes disciplines universitaires. Il y a encore Borgoche, Gluveau, Lutingamin, Golbornos, toutes les figures de la rue, et la personne du duc, c’est-à-dire du riche, venant en contrepoint. L’ensemble est d’une liberté de ton et de forme paradoxale, en même temps que truffé de références littéraires, et imitant un parler des rues. Le dialogue a été monté pour la première fois en 1890 et à la Comédie française en 1933.
13, rue du Faubourg Montmartre 75009 Paris