En bref...
Synopsis
Note de mise en scène
Notes sur la scénographie
Les îles Kerguelen ? Lorsque James Cook y aborde en 1776, il les baptise îles de la Désolation… Mais un homme l’avait précédé : le Quimpérois Yves de Kerguelen.
Après une reconnaissance bâclée, Kerguelen est reçu à la cour comme un nouveau Christophe Colomb. Persuadé que l’explorateur a découvert le légendaire continent austral - censé faire contrepoids à l’hémisphère nord - Louis XV le charge de fonder une colonie sur cet archipel de l’Antarctique, montagneux et désertique…
Le récit nous plonge au cœur de cette seconde expédition, qui mène le marin de la gloire à la déchéance : avaries et avanies transforment le voyage en cauchemar. Dans cette pièce d’aventures, temps et espaces s’entrechoquent : à Versailles le roi meurt de la petite vérole, tandis que Kerguelen, sur le Roland, doit faire face aux intempéries et à la sédition…
Une fable intemporelle sur la folie de conquérir.
Une histoire vraie
Premier mouvement : le vent de l’espérance
Second mouvement : la colère de la terre
Troisième mouvement : l’océan de papier
Le 12 février 1772, le navigateur français Yves de Kerguelen, à la tête d’une mission exploratrice des mers australes, découvre une terre jusque là inconnue. L’endroit est battu par la tempête, les deux navires de Kerguelen menacent à tout moment de se briser sur les rochers.
La reconnaissance sera sommaire, bâclée : Kerguelen envoie une chaloupe. Sur la plage, un officier fait ériger un tas de pierre sur lequel il dépose une bouteille contenant le texte de la prise de possession au nom du roi Louis XV…
Puis les deux navires reprennent le chemin de la France. Celui sur lequel Kerguelen est embarqué rejoint Brest en cinq mois à peine ; le second vaisseau, le Gros-Ventre, se perd. Il mettra plus d’un an à rentrer. A son bord, le Boisguehenneuc, seul officier ayant véritablement foulé du pied cette terre nouvelle…
A son retour en France, Kerguelen est reçu comme un nouveau Christophe Colomb. Le Breton vient de clore l’ère des grandes découvertes, le dernier grand point d’interrogation vient d’être rayé de toutes les cartes du monde… en théorie.
Le héros du jour se laisse piéger par l’enthousiasme que sa trouvaille suscite à la Cour et dans les salons. On lui dicte ce qu’il a vu, Kerguelen n’ose démentir, il finit par se convaincre lui-même de ses chimères. Lui qui n’a pas mis les pieds sur ces côtes qui portent désormais son nom, se persuade qu’elles sont habitées, qu’elles recèlent d’innombrables richesses, que la France en tirera de nombreux bénéfices.
Une seconde expédition est alors mise sur pied, le roi Louis XV, moribond, l’a ordonné. Kerguelen rembarque pour sa mystérieuse terre à bord du Roland…
Premier mouvement : le vent de l’espérance
Le premier mouvement de la pièce suit le second voyage de Kerguelen vers les terres australes.
Tandis qu’à Versailles le vieux roi Louis rabâche son ordre de mission et trouve une échappatoire à la vieillesse en rêvant à son continent, sur le Roland le capitaine de Kerguelen rejoint dans la mâture sa jeune maîtresse Louison déguisée en moussaillon.
A des milliers de kilomètres de là, perdu en plein océan, le Boisguehenneuc et son Gros-Ventre enchaînent les coups durs et les avaries : les cartes ont été dévorées par les rats, l’ancre principale a coulé au fond de l’eau, le vaisseau tout entier semble partir en morceaux…
Sur le Roland, on passe d’un arrogant optimisme à une certaine désillusion. Le bois du navire trop vert regorge d’asticots, la nourriture a été contaminée. L’animosité entre Kerguelen et son second Ducheyron éclate au grand jour tandis que Louison s’enferme dans son rôle de mousse et se voit délaissée par son amant.
En arrivant dans les mers australes le Roland croise un navire. Après un an de navigation, le Gros-Ventre est à ce point détérioré que Kerguelen ne le reconnaît pas. Au contraire, voyant dans cette épave un vaisseau fantôme de mauvais augure, il ordonne de le couler bas à coups de canon… Le Gros-Ventre s’échappe de justesse.
Pendant ce temps à Versailles, le roi Louis apprend qu’il est atteint de la petite vérole et que ses jours sont comptés. Enfin le Roland atteint les côtes du supposé continent austral. C’est le moment que choisit Ducheyron pour tourmenter le jeune mousse. Dans la bousculade, la véritable identité de Louison est révélée à tout l’équipage.
Second mouvement : la colère de la terre
Au large des terres australes, la tempête empêche le Roland de tenter un abordage. Les semaines passent. Le scorbut et le froid déciment l’équipage. Kerguelen semble incapable de choisir entre le renoncement et la tentative d’abordage. L’équipage est au bord de la révolte.
Maintenant que Louison a rendossé des vêtements plus féminins, la jeune fille suscite désirs et convoitises. Le jeune naturaliste Brugnières s’est entiché d’elle jusqu’à l’obsession.
A Versailles le roi se meurt et coule lentement vers la folie, confondant dans ses discours son continent et le corps féminin, se remémorant ses conquêtes de jeunesse et la douceur de sa nourrice lorsqu’il était enfant.
Au terme d’une nuit où le désir et la frustration sont portés à leur comble, Ducheyron et Brugnières décident de partir à l’assaut de la terre en canot, prenant soin au préalable de répandre la rumeur selon laquelle Louison serait en train de se livrer à l’équipage à fond de la cale. Kerguelen reste paralysé sur le pont de son navire tandis qu’à terre Brugnières se livre au massacre de pingouins rassemblés sur la grève. A Versailles, le roi s’éteint.
Sur le Gros-Ventre, le Boisguehenneuc, ravagé par la solitude, hurle sa souffrance et se libère enfin du poids de son secret : le continent austral n’est qu’une île désolée. Sur le Roland, Ducheyron et Brugnières sont rentrés porteurs de cette même vérité. Et tandis qu’on s’aperçoit de la disparition de Louison, le ciel, la terre et la mer unissent leur force pour déclencher au-dessus du Roland la plus terrible des tempêtes.
Troisième mouvement : l’océan de papier
De retour à Brest, Kerguelen est jugé pour avoir failli à sa mission. Enfermé dans la cabine d’un navire prison, il tente de comprendre, se noyant progressivement dans les lettres et les rapports. Sombrant lentement dans la déraison, Kerguelen imagine une nouvelle expédition vers son île rêvée…
Après plus d’un an de navigation, le Boisguehenneuc entrevoit la Lumière, abordant sur un atoll polynésien aux parfums enchanteurs…
Les îles Kerguelen est une pièce sur l’égarement.
Au fil de son voyage vers les mers australes, l’équipage d’Yves de Kerguelen s’éloigne de la France, de ses artifices, de ses conventions sociales, de ses repères rassurants, pour se rapprocher de cette île noire, masse brute et inquiétante éveillant chez ces hommes des instincts jusque là maintenus sous contrôle.
La mer, élément par essence immense et instable, ne fait qu’accentuer cette perte des repères géographiques et moraux. Totalement désorienté, l’équipage du Roland finit par vivre un cauchemar éveillé, incapable de faire la part entre le jour et la nuit, entre le Bien et le Mal.
Deux axes de mise en scène se sont imposés au fil de ma réflexion :
1°) La scène entière doit être composée d’éléments instables, soumis au roulis, sur lesquels le pied et l’œil ne parviendront pas à s’ancrer durablement. Ainsi la belle solidité du bateau de Kerguelen sera-t-elle progressivement mise à mal, les éléments symboliques du navire ( mâture, cordages etc… ) basculant dans le déséquilibre pour finir disséminés dans tout l’espace scénique. De même, le trône du roi Louis XV, sur roulettes, valsera-t-il autour du Roland selon un lien organique qui l’unira à Kerguelen : lorsqu’un cordage sera tiré pour une manœuvre, le roi en subira directement la conséquence en valsant d’un côté à l’autre de la scène.
2°) Le point de départ de la pièce doit être un monde d’artifices et de conventions, un monde « de fards et de dentelles ». Le mouvement général de la pièce doit ensuite mener vers un dépouillement général laissant apparaître ce que l’homme renferme de plus brut. Codes de jeu, décors et costumes doivent suivre cette trajectoire allant de l’artifice au dépouillement. Entre les deux, chaque personnage doit être le siège d’un affrontement interne : le rêve s’oppose à la réalité, la convention sociale et l’éducation s’opposent aux pulsions et aux résidus d’instinct animal…
Codes de jeu
J’entends mener le spectateur sur une fausse piste : au départ, l’aventure de Kerguelen doit paraître belle et naïve. Presque enfantine. L’optimisme doit régner. Chargés de dentelles et de conventions, les personnages de la pièce assumeront la théâtralité de leurs rapports, le ton sera à la légèreté. On respectera les bonnes manières, on se lancera du « Monsieur ». Les corps se feront aériens, les regards seront tournés vers le large. Kerguelen et ses hommes frôleront le burlesque, notamment au cours de ce premier tableau mettant en scène une inénarrable chasse au moucheron sur le pont du Roland. Le roi affichera quant à lui une bonhomie légèrement gâteuse…
Mais les personnages subiront la déchéance du Roland. Quelque chose de sombre et de grouillant sortira des cales de leur âme. Les adresses se feront plus directes, le maniérisme s’effacera, le jeu ne s’encombrera plus d’aucune fioriture, les corps se feront lourds et menaçants, les regards plus craintifs et tournés vers l’intérieur… Les masques pourront enfin tomber.
Costumes et maquillages
Les personnages débuteront le récit attifés de costumes dix-huitième aux matières clinquantes et dont l´artifice sera souligné ( dentelles, dorures, perruque, poudre, et fards… ). Plus l’intrigue s’approchera de ces îles mystérieuses, plus les parures se disloqueront et les masques tomberont. Le maquillage se craquellera, les étoffes subiront l´assaut du temps et la violence des éléments, bref, chacun perdra en cours de route le sens des apparences. Sous les dentelles défraîchies nous seront révélés les cuirs tannés par le vent et le désir. Les muscles en tension seront exposés, l´animalité des pulsions sera mise à jour.
A titre d’exemple, le roi Louis XV aura sur le visage un masque d’argile. Humide et lisse en début de pièce, il séchera au fil des minutes et finira par se craqueler tout à fait, laissant voir sous le masque des conventions de la Cour la vieillesse et la déchéance.
Univers sonore
Je travaillerai pour créer cet univers avec Ludovic Guglielmazzi, spécialiste du son qui collabore habituellement aux créations d’Omar Porras. Epousant l’évolution globale de ma mise en scène, l’univers sonore partira d’éléments évoquant les bonnes manières et les jeux sociaux de la Cour ( ainsi un thème au clavecin illustrera-t-il les apparitions du roi ).
A mesure que la pièce plongera dans la brutalité des éléments, le clavecin se chargera de fausses notes pour laisser progressivement la place à des sons moins élaborés, plus bruts, déclenchant chez le spectateur des réactions épidermiques ( grouillements d’insectes, choc de glaçons, acouphènes… ).
L’accompagnement sonore des Iles Keguelen n’aura aucune volonté d’illustration ( pas de bruits de vent ou de vagues… ). Il sera au contraire une partition permettant au spectateur d’entrer plus avant dans la dimension symbolique et imaginaire de la pièce.
Frédéric Ozier
Trois espaces se côtoient tout au long de la pièce : le navire de Kerguelen ( le Roland ), l’appartement du roi Louis XV et enfin le navire accompagnateur ( le Gros-Ventre ). L’égarement progressif du Roland entraîne la dégénérescence du roi et un paradoxal retour à la lumière du Gros-Ventre. Ces trois espaces sont donc liés et doivent pouvoir s’interpénétrer.
Le Roland : en contrepoint des costumes, le navire de Kerguelen ne s’inscrira pas dans une époque déterminée, mais se composera d’éléments évoquant un univers naval sobre et monochrome : un plancher ( le pont supérieur ) avec une double rangée de caisses ( les soutes ), une échelle menant sur un haut praticable ( la dunette ), en dessous, en diagonale, deux portes donnant sur des cabines. Derrière la dunette, une échelle en cordes représentant les haubans avec les enfléchures mène à une petite plateforme suspendue et praticable ( la hune ). Deux voiles montées sur leurs vergues et modulables dans leur hauteur, direction et inclinaison compléteront l’image du navire de manière à permettre de matérialiser des étapes du voyage ainsi qu’à créer des découvertes et des possibilités de jeux d’ombre chinoise.
La verticalité de ce module sera mise en valeur afin d’illustrer la chute de Kerguelen et de son équipage : la hune et le pont supérieur, sièges des rêves et de tous les espoirs, seront très largement utilisés au début de la pièce.
Au fil de l’intrigue, l’ambiance se fera plus sombre, l’aspect du navire sera de plus en plus négligé : des éléments viendront à disparaître ( la barre, une partie de la barrière, des caisses ), les voiles se pencheront de plus en plus, les cordages seront utilisés pour suspendre le linge, et une neige noire viendra souiller la blancheur initiale du pont. Une fois le rêve brisé, les haubans se décrocheront de la hune, les voiles s’abattront sur le navire, le couvrant comme un linceul.
Louis XV : le roi évoluera sur un trône-boudoir mobile, sorte de vaste chaise à roulettes customisée. Il y trouvera de quoi se poudrer, se parfumer et même un pot de chambre pour ses besoins. Le trône supportant son souverain tanguera d’un coin à l’autre de la scène au fil des péripéties, se disloquera au même titre que le Roland et obéira de moins en moins à son conducteur jusqu’à venir s’encastrer dans le navire lorsque l’échec de Kerguelen fera sombrer le roi dans la maladie.
Le Gros-Ventre : le navire accompagnateur sera matérialisé par le personnage de l’officier Le Boisguehenneuc. Telle une ombre, il évoluera en hauteur ( sur le balcon de scène du théâtre de la Tempête ), dissimulé derrière un tulle noir. N’apparaissant que sous forme d’un visage au début, il prendra de plus en plus corps, poursuivant ainsi un mouvement en contrepoint, un mouvement lent mais sûr vers la lumière et la Vérité. Au final, l’odyssée du Gros-Ventre s’envolera sur la plateforme de la hune devenue balançoire, naviguant ainsi dans les airs, entre rêve et réalité, balançant au-dessus du Roland comme un oiseau de mauvais augure, porteur d’une vérité qu’Yves de Kerguelen s’entête à ne pas voir.
J’ajoute que la salle de la Tempête où sera jouée la pièce sera aménagée en amphithéâtre à trois côtés, abandonnant ainsi les repères liés à la représentation frontale. Le spectateur se trouvera ainsi au cœur de l’intrigue, entourant la scène tels les flots le navire.
Neda Loncarevic
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.