Dans ce pays-là, on vend les enfants. On en vend un quand on a du mal à finir le mois ou quand il faut un nouveau frigidaire. On les rachète parfois aussi, par exemple pour faire une fête de famille. Le narrateur raconte son parcours, du petit garçon que ses parents ne mettaient pas sur le marché parce qu’il n‘était pas beau, à l’homme qu’il est devenu et qui tout naturellement s’est mis à vendre son père. On traverse cette histoire traitée avec cocasserie et tendresse en admirant la virtuosité d’un auteur qui nous fait passer du récit au théâtre sans qu’on n’y prenne garde.
Un individu nous parle de son enfance et des liens parentaux et filiaux de sa famille : étonnant pays où l’on vend les enfants comme une monnaie disponible face aux besoins, dernier recours ou pratique courante ? Il est essentiel de se rappeler qu’à l’autre bout de la terre, ce commerce existe, et que peut-être même en y regardant de plus près, ce semblant de situation peut apparaître à notre porte et nous mettre en position d’acheteur !
Dans notre société occidentale, dite développée, les notions de couple, de famille, ont considérablement évolué. Bousculée, modifiée, la famille reste la base de nos sociétés : traditionnelle, monoparentale, recomposée, homoparentale. La place de l’enfant y est importante, sa présence devenant l’enjeu d’un bonheur désiré.
Bien entendu Ma famille, nous alerte sur l’exploitation des enfants dans le monde et leur commerce insupportable. Mais la pièce souligne aussi que les valeurs transmises par chaque génération est un flambeau pour la suivante : ainsi l’enfant vendra son propre père quand l’occasion se présentera. L’acte transgressant accepté, se répète en cascade, l’enfant plusieurs fois vendu, se considère luimême naturellement comme bien d’échange. Un vrai point de réflexion à méditer sur les valeurs à transmettre aux plus jeunes, afin de construire un avenir meilleur.
L’efficacité du texte concis, invite à dire et à vivre ce qu’il y a de plus grave, de façon un peu abstraite, avec humour et distance, sans doute la meilleur façon d’amener le jeune public et le public tout court, à réfléchir sur son sort.
La pièce Ma Famille suggère aussi que les vieux ça ne se vend pas, comme un jeune avec une drôle de tête : le handicap et la vieillesse n’ont pas leur place dans une société de marché ! Qu’est-ce qu’un bon père ou une bonne mère ? Un parent se définit-il pas la filiation génétique ou par la qualité des liens affectifs et moraux qu’il entretient avec sa progéniture ? A contrario le parent « immoral » ne devient plus que géniteur/trice lorsqu’il transgresse le cercle familial. Mais le sursaut final du père de l’enfant dans Ma Famille, donne à penser que rien n’est irrémédiable, l’homme par ses choix peut contribuer à le devenir un peu plus, avec un grand « H ».
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