A l’aube de trois décennies de travail théâtral, le temps me semble venu d’aborder à nouveau le continent Shakespeare. J’aborde par le versant le plus noir : Macbeth, la tragédie du cauchemar. Le surgissement du fantastique et du surnaturel avec ses augures et ses oiseaux de malheur, ainsi que les thématiques du pouvoir conquis à tout prix et de la chute inéluctable, m’ont poussé à ce choix. Car ce cauchemar m’interpelle par ses ambiances nocturnes (“ La nuit succède à la nuit ”), son couple maléfique, ses personnages légendaires comme Duncan, Banquo, Macduff et d’autres, sans oublier comme toujours chez Shakespeare les truculents personnages issus du peuple.
La nature perturbée par l’irruption du surnaturel : dès la première scène, l’apparition des sœurs fatales nous plonge dans un conte horrifique où la nature influence les âmes et exacerbe les passions. Le surnaturel symbolise l’ordre humain bouleversé : la nuit domine mais le sommeil disparait (le cauchemar doit rester éveillé), les morts ressuscitent, la terre se désole sous le règne de Macbeth et c’est une “ armée végétale ” (la forêt de Birnam) qui rétablira l’ordre.
Macbeth est l’ambitieux crédule et craintif qui « devient un forcené sans inhibition » (Freud) ; Lady Macbeth son « instigatrice à la trempe d’acier » est prête à sacrifier sa féminité pour dominer et régner, mais Macbeth est entraîné bien au-delà de ce qu’elle avait voulu, dans une série de crimes toujours plus ignobles : après le régicide et presque parricide (le meurtre de Duncan), ce sera le crime fratricide (Banquo), et enfin le plus crapuleux : celui de l’enfance (le fils Macduff). Lady Macbeth s’écroule, « malade écrasée de remords ».
Les sœurs fatales sont un peu la pierre de touche des mises en scène de Macbeth. Nous n’avons pas voulu les traiter en « sorcières », nous nous interdisons même ce terme puisque Shakespeare les appelle « sœurs fatales ». Pour nous elles sont comme des elfes ou des faunes, peut-être bienveillantes, rejoignant en cela les sorcières du Moyen Âge qui souvent étaient bien plus des sages femmes, des ermites étudiant la nature et acquérant une certaine connaissance que des êtres maléfiques. Elles sont les « accompagnatrices du public » pour entrer dans le conte-cauchemar, avec une jubilation de l’instant et un plaisir évident à dévoiler leurs prédictions.
L’équipe de sept acteurs s’est formée autour d’un noyau déjà formé lors d’un précédent spectacle, Crime et Châtiment. Forts de l’univers du masque, du théâtre corporel pratiqué depuis des années, le travail des comédiens s’est nourri des influences du Nô et du Kabuki, des arts martiaux mais aussi du cinéma muet et de l’expressionnisme allemand. C’est dire que nous évitons le jeu psychologique pour privilégier le rapport obsessionnel des personnages, leur but poursuivi, l’urgence à y parvenir.
Nous vivons dans un monde de violence où la guerre est omniprésente. Nous emparer de cette tragédie pour « montrer l’histoire comme un mécanisme fascinant » (Jan Kott), travailler la langue riche de ce grand dramaturge, fouiller avec les comédiens et l’équipe artistique son univers fantastique et profondément humain, voilà le projet qui nous a habités durant de longs mois et que nous proposons de partager avec le public pour un théâtre universel et jubilatoire.
Serge Poncelet
78, rue du Charolais 75012 Paris