Voici la dernière pièce de Sarah Kane. Il sagit dune pièce sans personnage, sans représentation « réaliste » : cest un texte musical. Les musiciens tiennent le quatuor pour la plus difficile et la plus noble des compositions. Crave (Manque) est un quatuor. Une polyphonie dans lespace, organisée selon une cadence et des thèmes très nets, le tout dune extrême précision.
Sarah Kane se tient au plus proche delle-même. « Parce quil est dans la nature même de lamour de désirer un avenir. » écrit-elle, Crave est le chant de ce manque, un creux infini où lespoir est devenu gouffre. Crave est un chant, unique.
Il fallait que cette pièce soit éprouvée par un musicien.
Par Jean-Marie Patte
Manque de Sarah Kane peut se lire comme une partition de musique, mais une partition singulière qui oscille entre ruptures et harmonie, cris et chant.
Quatre voix se donnent à entendre, quatre voix que nous sommes tout dabord incapables didentifier, de distinguer. Les mots éclatent au dehors, ils se succèdent et sentrechoquent : A B C et M parlent. Ils parlent mais ils ne sadressent pas, ne dialoguent pas. Chacun reste seul, déroule le fil de son histoire, de sa mémoire, de sa douleur. Chacun dit, mais nul ne répond ou à côté, dans la brisure. Les mots sont tranchants, ils ne sattendent pas, ne sentendent pas. Absence de communication, solitude généralisée, tel pourrait être le constat de lécriture de Sarah Kane, le manque dont il serait précisément question. Mais son propos semble plus vaste, plus subtil, il interroge le statut même du langage, sa possibilité de dire, de permettre le dire. Et cest linattendu qui se produit soudain. Un inattendu quelle nous donne à entendre : une concordance de voix, une mélodie, une parole à quatre. Les mots cessent de se non-répondre, ils se poursuivent et se complètent. La brutalité générale, léclatement des codes et des logiques, la cacophonie ont bousculé dans leur contraire.
Avec Sarah Kane, tout se passe comme si cétait du cur même du chaos, dans la radicalisation du désordre de la langue, et là seulement, que quelque chose pouvait survenir : un échange, un partage. Non pas dans le dialogue, qui serait par définition impossible, mais dans lépuisement du soliloque, dans sa consumation jubilatoire.
Lecture de Manque par Stéphanie Chaillou
"Le grand chef dorchestre (...), cest lhomme qui est descendu au fond de sa musique et qui remonte à la surface avec tous ses secrets." "La connaissance (...), cest une faculté de contact, une intuition naturelle, une révélation dont joserai dire quelle est dessence musicale."
Jacques Copeau
anthologie subjective de Catherine Dasté
NRF Gallimard
De Sarah Kane, on parle de la violence de ses textes. Quelque chose en elle vous "saute à la gorge", en effet. Mais il me semble que nous devrions dabord entendre sa musique. Celle dun auteur fulgurant dont les quatre pièces ne sépuisent pas. Cest ce qui justifie sa présence deux fois dans cette saison. J.-M. H.
76, rue de la Roquette 75011 Paris