Derniers feux du théâtre baroque. Deux ans avant Le Cid et sa querelle, puis l’instauration de l’ordre classique et de la règle des bienséances qui proscrivait de la scène toute effusion de sang, Médée : cinq morts, dont deux dans les flammes... à la vue du public. Corneille dit emprunter à Sénèque « ces poisons, ces lamentations, ces cruels élans de l’épouse abandonnée, balancés par l’amour maternel, tant de sentiments qu’elle revêt et dépouille tour à tour...»
C’est l’épisode final de la légende qu’il choisit de traiter : Jason, séducteur lassé, tenté par de nouvelles conquêtes, celle surtout de Creuse, fille de Créon, roi de Corinthe, abandonne Médée qui se venge : de sa rivale en lui donnant la robe imbibée de poisons qui les brûle, elle et son père ; de l’amant infidèle en poignardant les enfants qu’elle a eus de Jason… Puis elle s’enfuit. Jason se tue.
« Mes désirs sont contents », conclut-elle. Petite-fille du soleil, Médée, l’étrangère, est aussi magicienne : grâce à elle le merveilleux s’infiltre dans cette tragédie de sang. La sorcellerie technologique, en référence au genre de l’heroic fantasy, ne nous permet-t-elles pas aujourd’hui de passer comme elle du monde des hommes à celui des divinités et de céder à un envoûtement qui ouvre sur l’étrange et sur l’invisible ?
Médée offre à la construction artistique une liberté d’interprétation et une actualité inépuisables. Loin d’être figée dans le mythe, elle voyage à travers les époques et devient le reflet et la cristallisation d’une humanité, elle aussi, en mutations et contradictions constantes.
C’est cette quête de l’humain et l’exploration de sa frontière avec l’inhumain qui nous amène aujourd’hui à mettre en scène cette tragédie sublime et provocante, qui possède la précieuse qualité de remettre en cause nos jugements quotidiens.
Médée, mère infanticide : le sujet est délicat et vite tranché par la morale commune. L’acte est, a priori, insupportable, inexcusable. Pourtant Corneille donne à voir, peut-être même à comprendre, le cheminement de son héroïne… cheminement radical mais à la hauteur de cette femme magicienne ; sentiments excessifs mais d’une inhumanité… bien humaine. L’infanticide est donc une conséquence : loin d’être une fatalité, cette bascule de l’humanité vers la monstruosité est un choix conscient, délibéré.
Médée attise sa douleur, en tire une énergie monstrueuse pour accomplir sa métamorphose. La solitude de celle qui vient d’ailleurs, d’un monde magique, dont on l’a, de fait, extraite, cette éternelle étrangère, exilée, va créer son identité en se détachant des humains. Outre la fascinante mutation du personnage de Médée, le caractère magique de cette tragédie ouvre un champ des possibles exceptionnels en termes de création numérique et de mise en scène. Médée appartient aux deux mondes : humain et divin. Petite-fille du Soleil, elle est dotée d’un regard perçant. Elle est obscurité et lumière. Pour représenter le merveilleux qui sous-tend cette tragédie, nous avons choisi le genre heroic fantasy, transposition contemporaine de cet univers. Les deux mondes sont matérialisés par deux lieux : celui, empreint de magie, où Médée a été isolée, qui s’ouvre sur un autre monde, celui des humains où les personnages se croisent, négocient, évoluent, vivent et meurent. Le glissement du monde humain vers le merveilleux se fait par touches successives, faisant se côtoyer réalisme et onirisme. À partir de gravures de Gustave Doré, la création vidéo permet au décor de glisser vers le surnaturel. Grâce à ces procédés de création numérique, Médée la magicienne peut déformer la réalité, créer de nouveaux espaces.
Gaële Boghossian
Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.