Autocritique des attitudes féminines
Scénographie et marionnettes
Entretien avec Émilie Valantin
30 marionnettes : technique et stylistique
Malgré l'éducation et les raisonnements, il y a des choses que je déteste irrémédiablement chez la femme. Etant l'une d'elle, je persiste en disant qu'il n'y a pas de progrès sans autocritique.
Je m'interroge surtout sur l'irritation que m'inspirent les femmes nanties et "libérées" de nos sociétés occidentales qui ont laissé leurs progrès en chemin, limitées à des comportements et à des apparences.
- Guy Bedos s'écrie : " Elles sont encore en crinoline dans leur tête."
- Philippe Sollers au cours d'une interview à Marie-Claire déclare : "Le monde est fou et la substance féminine révèle cette folie. Je n'évoque pas une quelconque supériorité masculine, mais seulement ceci : la substance féminine est faite d'insatisfaction permanente, qui sombre en général dans l'aigreur et la revendication. Ce n'est pas du machisme mais un constat quasi métaphysique de cette donnée tragique : le monde appartient aux femmes et à la mort, et la société maquille cette vérité…"
- Avec Roberto Arlt (1900-1942) je me suis demandée quel était le lien de la femme et de l'économie "capitaliste" et si ce lien restait aussi évident de nos jours que dans l'Argentine capitaliste de l'entre-deux-guerres.
- J’ai découvert que les récentes parutions de sociologie et psychologie ne cessent de revisiter le féminisme, parfois sous la plume d'autres
femmes… Voyons les titres :
Les enfants de Jocaste de Christiane Olivier,
Ces femmes qui en font trop de Catherine Serrurier,
Cendrillon est un couillon de Catherine Lemaire,
L'empire des mères de Georges Gottlieb - collection Autrement 2002,
et surtout Le meurtre de la mère de Michèle Gastambide - Ed DDB
- La méridienne 2002.
Cette psychanalyste explique que lorsque l'image de la mère "infaillible et sacrée" se détériore dans un psychisme incomplet, tout idéal qui se dérobe déclenche une haine (une violence) dont le passage à l'acte est un matricide déguisé.
J'y ai vu l'avènement d'une arrogance féminine nouvelle, condensée en libération sexuelle obligée et comportements d'achats afférents (marques, haute couture inspirée par le porno, vassalisation télévisuelle etc.) avec en toile de fond une indifférence totale pour les conséquences économiques et politiques de ces modes de vies.
- Je salue l'arrivée dans les librairies du livre d'Elisabeth Badinter Fausse route, Editions Odile Jacob avril 2003. Il me permet de passer au crible de sa pensée rigoureuse, les interrogations intuitives qui m'ont inspiré le sujet du spectacle.
- Dans le même temps, le collectif Ni putes, ni soumises conforte mes réflexions. Safia, interviewée le dimanche 9 mars 2003 sur France Inter déclare, entre autres : " C'est leur apparence qui a perdu les filles du quartier…"
Le spectacle Merci pour elles, à travers des anecdotes, des flashs et des épisodes de séries, tente de régler des comptes avec quelques façons d'être si "énervantes" de la femme d'hier et d'aujourd'hui.
Émilie Valantin
Nicolas Valantin propose une scénographie qui invite à transcender la satire sociale en thèmes mythologiques, préservant de la vulgarité inhérente à certains sujets.
Sans espace géométrique stable, les marionnettistes utilisent des crinolines noires transparentes, défi significatif pour développer, avec quelques remords, ce parcours satirique.
Une musique de harpe accompagne 30 marionnettes de tailles et de techniques différentes : sculpture directe ou modelage en matériaux nouveaux, construction classique (fils, tringle, crosse, gaine et marottes) avec des adaptations expérimentales (par exemple manipulation latérale pour les personnages qui marchent de profil etc.)
Que se passe-t-il à la surface ou sous ces trois crinolines et dans leur bustier ?
L’Avorton de la Vierge Couronnée survit. Il devient le partenaire obligé de la Femme d’hier et d’aujourd’hui, dans un itinéraire plus mental que chronologique.
Jean Sclavis assure dans ce spectacle le rôle de l'Homme, présent dans presque chaque situation, « Triste Avorton », fiancé préhistorique, jeune marié, amant plein d’illusion, mari assassin etc. L’évocation de ces divers rôles laisse imaginer la longue liste des femmes que nous avons inventées pour lui donner la réplique.
Cette confrontation met en relief les constantes, puis les dérives féminines que psychanalyse et sociologie n’ont pas suffi à maîtriser…
Tandis que nous explorons la marionnette à gaine et les marottes (deux techniques manipulées par en dessous dans le spectacle Emprise de tête), Merci pour elles est l’occasion d’utiliser des techniques différentes et souvent délaissées.
La présence des crinolines sur un plancher de bois donne de l’importance au sol. Les marionnettes à fil et à tringle, corps complets (avec jambes) s’y déplacent en glissant dans leurs jupes ou en le martelant du pied… Elles s’agenouillent, s’asseyent, se couchent, sans douleur d’articulations, j’espère ! Sur les crinolines, les femmes à la plage étalent leurs seins… C’est une manipulation « à vue » et « sur table », avec des petites tiges, car nous craignons la prise directe dans certains cas !
Epaminondas est la seule marionnette à gaine, dans une manipulation un peu basse pour cette technique, dont le choix s’imposait cependant pour que les mains du personnage saisissent les cadeaux de la marraine ! La marche permet à Jean Sclavis d’accompagner Epaminondas ou d’être Epaminondas.
Les guenons et leur progéniture, gérées par Jean Sclavis seul, sont taillées en mousse souple. J’aurais aimé faire plus compliqué, mais l’élasticité et les rebonds sont justes ainsi, tant que la mousse résiste !
Le Docteur Morin, l’esthéticienne, la professeur de Français sont en plus grande dimension, avec effet de front qui se soulève, dégageant le regard, technique que j’utilise depuis « J’ai gêné et je gênerai » sur des textes de Daniil Harms (1994). Il faut être un peu près pour le voir vraiment, mais c’est un luxe technique, satisfaisant à manipuler… (utiliser également en vidéo dans Philémon et Baucis) et c’est une de nos trouvailles déposées qui structure les traits du visage (La vierge à l’avorton ouvre les yeux également…) et modifie l’expression.
C’est ma contre proposition aux bouches qui s’ouvrent à l’anglo-saxonne.
Dans l’ensemble, les marionnettes sont très « fabriquées », sans dérobade au figuratif, voir au réalisme, quitte à assumer la naïveté des personnages nus, sculptés mais articulés, ou costumés avec soin. J’ai renoncé à la recherche de « neutralité » et aux brouillages plastiques matérialistes de mes créations antérieures (papier Kraft, rugosité etc.). En mettant les points sur les i de l’anecdote, je prends le risque que cet « académisme » soit mal décodé par les amateurs d’art contemporain, de Théâtre d’objets, de minimalisme etc.
Je n’ai pas pu tricher, ni avec mes pulsions artisanales, ni avec le XXIème siècle qui commence… et me donne des scrupules vis-à-vis des redites stylistiques. J’ai donc façonné en toute humilité, bravant les difficultés techniques.
Émilie Valantin
Dans ce spectacle, vous avez décidé de régler vos comptes avec les femmes. En quoi certaines de leurs attitudes ou réactions vous dérangent-elles ?
Nuances ! Ayant moi-même participé dans les années 60 aux luttes féminines pour obtenir le droit à la contraception, je déplore que cette bataille gagnée, nous ne sachions pas pour autant que faire de nos enfants (désirés) à la sortie de l’école…
et autres problèmes pragmatiques toujours sans réponse. Comme le dit Elizabeth Badinter dans
Fausse Route, on a laissé tomber les avancées ou on s’est perdues en chemin.
Par contre, le commerce et les médias se sont emparés du mot Liberté, avec comme signe ostentatoire le port du string ou les seins nus à la plage, ou le ventre à l’air… et on oublie de dire qu’entre les tenues d’émissions de plateau et le port du voile, il y a une grande marge de choix vestimentaires ! La démocratie nous permettrait de résister aussi aux modes humiliantes ! Dans le passé, les sociétés ont toujours récupéré nos inquiétudes et nos défauts à leur profit.
Je commence le spectacle par un sonnet baroque sur l’avortement exigé par l’Honneur contre l’Amour… puis le Docteur Morin énonce avec bonté quelques appréciations sur la santé des femmes, tirées de son authentique manuel d’hygiène féminine... des années trente.
Je m’étonne que la psychanalyse, la sociologie, l’éducation tout simplement ne nous donne pas de meilleurs outils pour utiliser notre esprit de contradiction… en notre faveur ! L’esprit de contradiction est un moteur philosophique : chercher un nouvel éclairage à la vie, à une idée, guetter les effets pervers des choses, être en alerte pour ne pas faire aveuglément ce qu’on nous incite à faire. « L’indiscipline réfléchie ».
Je ne parle pas, bien sûr, des problèmes des femmes du Tiers monde. Je parle des femmes qui vivent dans le monde occidental, plus nanties, et qui pourraient avoir beaucoup de poids pour dire non, et faire changer les mentalités plus vite. Une amie espagnole me faisait remarquer, lors de la création à Madrid, que dans les société patriarcales, la femme est programmée pour transmettre elle-même les valeurs qui l’oppriment… Elle surveille et dénonce les autres femmes… (voir dans le théâtre de Lorca, par exemple).
En sommes-nous sorties ? En famille par exemple, et sur des détails, alors même que nous croyons être libérées. (Deux personnages incarnent la réitération des comportements, de façon sympathique et d’autant plus insidieuse ; la prof de français et l’esthéticienne). Voilà pourquoi ce n’est pas un règlement de compte, mais plutôt une sonnette d’alarme déclenchée par un « quel dommage » !
Quelqu’un a dit de cette nouvelle création : « C’est bien un spectacle de femme. » Qu’en pensez-vous ?
Que c’est moi qui l’ai dit pour m’amuser, parce que dans la vie, mon esprit de contradiction me conduit à être plus royaliste que le roi, et que le machisme inspire aux hommes des réflexions tellement courtes que cela en est réjouissant. Cela dit, ma création artistique est forcément « sexuée » et je l’assume. Le personnage qui clôt le spectacle est la marraine d’Epaminondas, avec laquelle je partage probablement, ainsi que bien d’autres femmes, le sort de Cassandre.
Dans la mythologie, Cassandre reçoit d’Apollon le don de prophétiser en échange de ses faveurs. Une fois instruite, elle se refuse à lui. (L’histoire ne dit pas pourquoi elle change d’avis, Apollon était sûrement un personnage intéressant à fréquenter, bref…). Apollon furieux la condamne à n’être jamais écoutée… Sur ce dernier point, je me sens proche de Cassandre. George Sand témoigne de la même difficulté lorsqu’elle écrit « il ne suffit pas de dire des choses justes, encore faut-il les rendre écoutables. »
Pour pallier ce reproche, le spectacle est soutenu par une somptueuse musique de harpe, due à Isabelle Olivier, écoutable à coup sûr !
Toutes les scénographies de vos spectacles sont d’une grande inventivité. Pourquoi avoir choisi cette fois-ci un univers de crinolines ? Qu’apporte la musique de la harpe sur scène par rapport à une bande son ?
En évoquant le projet avec le scénographe (un de mes fils, au complexe d’Œdipe insuffisant, hélas !), nous avons cité la fameuse phrases de Guy Bedos parlant des femmes d’aujourd’hui et s’exclamant : « elles sont encore en crinoline dans leur tête ».
Ce ne sont pas les incontournables panoplies de Barbie qui annonceront un changement radical et imminent ! ni les vitrines consacrées au mariage, ni les images de la presse people… Une part de moi comprend tout ça, parce que c’est formidable de se déguiser…d’habiller des poupées, etc. L’ennui, c’est de laisser ces plaisirs sans contre-pouvoirs culturels et économiques.
Donc, la crinoline est effectivement une plénitude formelle, que l’utilisation du tulle noir rend mystérieuse et théâtrale, tantôt opaque, tantôt transparente.
La forme arrondie rompt avec la géométrie habituelle des castelets, tout en posant de terribles problèmes techniques. Pourquoi faire simple quand… Grâce aux éclairages, la jupe de la crinoline devient caverne, ou colline, ou arbre de la forêt vierge et nous fournit ainsi diverses lectures du dessous des jupes et du contenu du corsage ! Ce sont des formes creuses utilisables à l’intérieur et à l’extérieur, forcément métaphoriques !
La harpe est liée à l’image de la femme pour mille raisons. Isabelle Olivier utilise la somptuosité de la harpe de concert classique, mais aussi les sons très différents de la harpe celtique. C’est une harpiste vigoureuse qui lutte, comme je le fais pour la marionnette, contre les utilisations faciles et « jolies » de son instrument. Son dernier C.D. de Jazz reçoit les meilleurs critiques, et elle est également concertiste classique. Elle a endossé le sujet du spectacle et s’est impliquée en magnifiant l’atmosphère de chaque séquence tout en soutenant l’ironie quand nécessaire.
Il est vrai qu’entre l’élégance des crinolines et celle de la musique, Jean Sclavis et moi devons tenir bon la causticité, « l’incorrectement politique » du propos, et des ruptures de ton, voire du mauvais goût… séquences après séquences.
Jean Sclavis assure le rôle de l’Homme. Comment a-t-il réussi à trouver sa place, subtile et essentielle, dans cet univers féminin ?
Réponse de Jean Sclavis lui-même : En tant que comédien, j’assume le rôle de l’homme. A la fois des hommes misogynes (comme le Dr Morin) et des hommes victimes (comme Epaminondas), de certains travers des femmes que le spectacle met en relief. J’endosse également avec plaisir l’interprétation de la professeur de français et d’une femme qui « fait les seins nus » à la plage parce que j’adhère à la critique de la fausse liberté.
En tant qu’homme, j’ai l’impression d’être plus indulgent qu’Emilie, je me dis « les femmes sont comme ça »… mais c’est complexe ! Est ce que cette indulgence n’est pas la marque d’une forme de misogynie ? Sacha Guitry dit : « Je suis contre, tout contre ».
Interview réalisée par la Maison des Arts de Thonon, septembre 2004
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En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
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