Danse symbolique
Mise aux pas
Note d’intention
Le point de départ de Michel Kelemenis
Une histoire du Pasodoble par Philippe Fénelon
Un projet associant étroitement danse et musique
L’amour de la musique
L’élégance colorée des costumes
“Dans le pasodoble, deux individus se retrouvent dans une danse symbolique pour s’effacer du monde réel et se trouver en relation avec l’ombre et la lumière : pour affronter la mort, il faut dire la vie”.
Le compositeur Philippe Fénelon, associé étroitement au chorégraphe sur Pasodoble, donne le ton d’une création qui scelle en 2007 les vingt ans de la compagnie Kelemenis. Depuis Anthère, Kelemenis a montré son attachement aux musiques ancrées dans la mémoire collective, tout en se confrontant aux écritures contemporaines. Pasodoble participe de ces deux logiques avec la présence sur scène, pour la création de l’oeuvre, des musiciens de l’ensemble TM+.
Ce Pasodoble, le chorégraphe le ramène volontiers à l’enjeu esthétique d’une corrida (où il revêt une grande importance dramaturgique puisqu’il accompagne les toreros dans l’arène). La danse de Kelemenis multiplie ici affrontements et enlacements, les duels se transfigurent en duo, sous “le flirt de la lumière et de l’ombre caractérisé par l’alternance des modes majeur et mineur de tout bon pasodoble”.
Musique de Philippe Fénelon. Avec l'Ensemble TM+ sous la direction de Laurent Cuniot : Francis Touchard (clarinette), André Feydy (trompette), Pascal Contet (accordéon), Philippe Noharet (contrebasse), Florent Jodelet et Thierry Deleruyelle (percussions).
Le B A BA de la danse viendrait-il en marchant, comme l’appétit vient en mangeant… ? Il semble que le Pasodoble aurait trouvé la clef dans un simple pas de marche. Au 18ème siècle, l’Espagne voit son territoire piétiné par la soldatesque européenne au gré des successions revendiquées par les différentes familles royales. Chaque armée a sa propre marche : le peuple espagnol s’approprie ces pas. En mêlant les unes aux autres, un style est apparu.
Lui le danseur prend appel du pied droit, elle la danseuse du pied gauche. Mais la piste de danse peut être une arène… Un jour de corrida, les toreros entrèrent de manière martiale au son d’une fanfare, le geste était pris. Ensuite le rituel de la marche stylisée quitta l’arène pour les rues de Séville lors de la procession de la Semaine Sainte. Il reçut l’onction. L’homme et la femme entrèrent dans la danse, lui le torero, elle la cape.
Dans Pasodoble, le compositeur et le chorégraphe reprennent un bout de chemin ensemble l’un mettant sa musique dans les pas des danseurs, l’autre les accordent à la musique.
Le vagabondage historique autour du terme “pasodoble” fait se côtoyer des contraires extrêmes. L’évidente adéquation d’un rythme binaire au tempo régulier avec la simplicité basique du déplacement marché porte à rapprocher le défilé, la procession, la joute et la danse : préparation à la guerre, communion dans la foi, combat singulier ou délice de l’évanouissement de soi à travers la danse, il est toujours question de l’énigme d’un au-delà.
Chacune de ces formes porte en elle sa propre façon d’affronter l’irréversibilité de la condition du vivant dans laquelle chaque instant, chaque pas, nous mène. Les deux premiers pas, ces fondamentaux du mouvement et de l’exploration d’une existence, symbolisent la frontalité d’un combat incontournable et pourtant perdu d’avance : ils seraient en musique le passage condensé de l’extraordinaire La à partir duquel l’oeuvre s’organise à l’effroyable glas dont on redoute qu’il ne sonne toujours trop tôt pour soi.
Baigné de couleurs festives, gagné par un irrépressible désir de vitalité, Pasodoble fouille les traces des rituels de passage d’un monde à l’autre, et désigne en la danse l’instrument éminent d’une exploration de la transition.
Pour assister sans rejet à ma première corrida, je me suis choisi la place d’observateur d’un rituel d’une grande valeur esthétique, dont la palette caractéristique de couleurs use du rouge sang comme d’un curseur émotionnel dans le combat manichéen entre le pelage noir satiné de l’animal et l’habit de lumière de l’homme. J’ai découvert le cérémonial d’une collusion insensée entre civilisation et barbarie, la brillante première mise au service de l’impensable seconde.
Le protocole du sacrifice est extrêmement sophistiqué : il détermine la façon dont la fatigue de la bête, obtenue tant par la blessure de piques que par l’affolement et la course, doit parvenir à un équilibre momentané des forces, permettant une étroite proximité entre les deux combattants. Dans ce rapprochement, la fascination du public se focalise et s’exerce sur la qualité de gestes alternant une extrême tension avec des relâchements éclatants et glorieux.
Et si le point final est la mise à mort, le point suprême est bien ce temps de passes et d’enroulements durant lequel le duel se transfigure en un duo. Lorsque chacun des aficionados reconnaît que le mouvement technique d’une précision dictée par le danger bascule dans l’art, l’arène se met à scander l’appel à la fanfare : “Musica, musica, musica”… La joute entre cornes et cape, devenue danse, mérite la musique. La musique de cette danse est aujourd’hui un pasodoble.
Le pasodoble est à l’origine une marche dont la mesure règle le pas ordinaire de la troupe. C’est un rythme qui est particulièrement lié à l’histoire de l’Espagne. Durant le XVIIIe siècle, les maisons royales européennes ne cessent de se disputer le pays. Les Espagnols se sont habitués à voir défiler les soldats et ce pas cadencé envahit leur existence. Au fil du temps, les classes populaires s’en emparent et lui adjoignent diverses figures empruntées aux danses traditionnelles alors en vogue : la jota, le bolero, la seguidilla. Le pasodoble aurait pu demeurer une simple variante de ces danses mais un jour, lors d’une corrida, un orchestre joue un air de pasodoble pour accompagner l’entrée martiale des toreros dans l’arène.
Dès lors, on joue des pasodobles dans les arènes. Les toreros esquissent même quelques pas de danse et se livrent à diverses pantomimes de l’art de toréer pour mettre en scène et magnifier l’entrée du taureau. Après la corrida, les spectateurs vont dans les bals où, sur des airs de pasodoble, les hommes miment en dansant les postures de la tauromachie. Ce sont les Français qui codifient le pasodoble pour en faire une danse de salon stylisée.
Une autre connotation, très importante, du mot pasos est liée aux processions de la Semaine Sainte, à Séville. Au son des tambours, les figures religieuses sont portées à travers la ville - images de mort, images d’espoir… Dans le pasodoble, deux individus se retrouvent dans une danse symbolique pour s’effacer du monde réel et se trouver en relation avec l’ombre et la lumière : pour affronter la mort, il faut dire la vie.
L’énergie et la vivacité des 6 danseurs, durant 1 heure de programme, se cristallisent en de nombreux affrontements et enlacements au coeur d’autant de scènes qui font écho aux déclinaisons sémiologiques du titre.
Les danseurs Caroline Blanc, Gildas Diquero, Ludovic Galvan, Tuomas Lahti, Virginie Lauwerier et Christian Ubl. Les 6 musiciens virtuoses de l’ensemble TM+, réunis autour de Laurent Cuniot, donnent son chant à la partition de Philippe Fénelon qui, entre retenues et éclats, prend le risque d’un pas double avec le genre populaire du pasodoble.
Pasodoble est créé en présence des danseurs et des musiciens, pour le Festival de Marseille 2007. La configuration scénique restant à définir (tous en scène ou scène/fosse), elle intègre les spécificités des théâtres ou opérateurs partenaires de la tournée de création. TM + enregistre la musique pour la version légère de tournée.
Si la rencontre initiale s’est effectuée sur la scène de l’Opéra de Paris, elle s’est concrétisée pour le projet Cadenza/K.danza en 2002 autour de la notion d’oeuvre soliste : c’est à Philippe Fénelon que Michel Kelemenis propose la création musicale de Pasodoble, sur la base intuitive d’un côtoiement d’airs festifs de bandes taurines avec les sonorités moins attendues d’une expression contemporaine.
L’ensemble musical TM+ sous la direction de Laurent Cuniot adopte pour ce projet une géométrie particulière pour 6 musiciens et électronique, incluant certaines caractéristiques instrumentales d’une fanfare et permettant l’alternance entre des pasodobles et la partition de Fénelon qui organise glissements et frictions. La Maison de la musique de Nanterre à laquelle est associé TM+ porte la rencontre.
Ballotté depuis toujours entre expression populaire ou savante, Michel Kelemenis réunit dans ce projet son plaisir de musiques ancrées dans la mémoire collective, comme pour Besame mucho, La danse de Mélina, Vaste ciel !!, Anthère, L’homme, la femme et George… et son attrait pour un dialogue de la danse avec les écritures musicales d’aujourd’hui : Le paradoxe de la femmepoisson, Faune Fomitch, Ulysse et Pénélope, L’ombre des jumeaux…
Sans autre culture musicale initiale qu’une radio régionale consacrée à la variété, c’est avec l’écoute rapprochée de Debussy (pour Clin de lune, Mouvements/Ibéria, Image) qu’il s’ouvre aux musiques “sérieuses”, côtoyant au fil de ses créations les oeuvres de Takemitsu, Ravel, Dutilleux, Dusapin ou Aperghis… collaborant avec des compositeurs dont Erik M, Didier Puntos, Gilles Grand ou plus récemment Christian Zanési et Philippe Fénelon. Les 6 pièces qui constituent la création 2005, Aphorismes géométriques, forment des portraits chorégraphiques associés aux oeuvres de 5 compositeurs, Georges Boeuf, Stephan Dunkelman, Olivier Stalla, Patrick Portella et Inge Morgenroth, commanditées par le GMEM/Centre national de musique contemporaine de Marseille.
La collaboration réussie du chorégraphe avec Agatha Ruiz de la Prada pour Besame mucho trouve son prolongement naturel autour de la popularité d’un genre musical et d’images de ferveur que l’Espagne partage parfois avec le sud de la France. La styliste madrilène se joue des notions de symbole et d’emblème par l’utilisation de couleurs lumineuses et de motifs directs et simples. Son refus du noir trahit un désir incommensurable d’optimisme et témoigne de la force d’une vie qu’elle ne peut imaginer que belle. C’est à partir des maquettes dessinées que le costumier Philippe Combeau, autrefois interprète auprès de Michel Kelemenis, adapte les modèles aux exigences particulières de la danse.
30, quai de Rive Neuve 13007 Marseille