James Joyce (1882 -1941) est considéré comme l’un des écrivains contemporain les plus influents. Son œuvre est marquée par sa maîtrise de la langue et l’utilisation de nouvelles formes littéraires, associées à la création de personnages qui constituent des individualités d’une profonde humanité. L’ultime chapitre d’Ulysse, le roman de Joyce que l’on a appelé « cathédrale littéraire du XXème siècle », contient huit immenses phrases d’environ cinq mille mots chacune, presque sans ponctuation. Un vrai challenge pour la jeune interprète de Molly Bloom, la déjà grande Céline Sallette, reconnue par ses pairs en 2012 (Nommée au César du meilleur espoir féminin pour L’Apollonide-Souvenirs de la maison close).
« Oui » est le mot qui scande son monologue intérieur. « Oui », la parole féminine par excellence selon Joyce qui laisse le dernier mot à son personnage féminin. Avec ce spectacle seul en scène, le metteur en scène Laurent Laffargue nous introduit dans l’espace le plus intime de l’être, celui d’une pensée qui émerge dans le désordre et parcourt cette vie de femme « humaine, trop humaine ». Vie faite de riens, de choses minuscules ou triviales, de rencontres qui donnent lieu à des portraits des hommes et du monde.
Le monologue de Molly Bloom commence donc par « Oui parce qu’avant jamais il a fait une chose pareille de demander qu’on lui serve son petit déjeuner au lit… » et s’achève après huit sentences sur « et oui j'ai dit oui je veux bien Oui ».
Le Oui de Joyce est un des plus beaux Oui de l’Histoire de l’Art, il rejoint le Yes de Yoko Ono (au plafond, à lire avec une loupe, après avoir grimpé un escabeau) qui conquit John Lennon lors de l’exposition à l’Indica Gallery le 9 novembre 1966 – mais qui signa la séparation des Beatles.
En disant Oui à une femme, l’homme dit Non au reste.
Dire Oui à Ulysse vous oblige à analyser, à enregistrer, à scruter et étudier ce que vous avez refusé dans votre vie.
Le monologue de Molly serpente à travers les quarante dernières pages d’Ulysse comme une rivière étale ses méandres dans la plaine et trace le cours de son lit grâce à la logique interne de sa propre fluidité et de son propre poids.
Selon James Joyce, son monologue tourne lentement, régulièrement.
Les quatre points cardinaux de ce monologue sont : les seins, les fesses, la matrice et le sexe de la femme, que représentent respectivement les mots.
C’est de toute évidence par l’intermédiaire de son corps, en tant que symbole de la terre féconde et maternelle, que Molly s’exprime.
James Joyce a écrit : « Il me semble que Pénélope (Molly) est une femme parfaitement saine, complète, amorale, amendable, fertilisable, déloyale, engageante, astucieuse, bornée, prudente, indifférente ».
Molly déteste la politique, le nationalisme, elle craint le tonnerre, désapprouve la brutalité et pense que son mari sait beaucoup de choses. Molly, c’est le Cosmos, Gaïa, la Terre-Mère, fécondatrice et joueuse, incertaine et éternelle. Molly, c’est l’incarnation de l’amour fou que portait Joyce à sa femme, Nora.
Mais surtout Molly, c’est le premier personnage féminin à parler depuis elle-même comme même aucune femme ne s’est écrit jusqu’à lors : sans fards, sans limites, sans faux espoirs.
Molly Bloom est un personnage qui assume jusqu’au bout le véritable rôle de fiction. Car la fiction ne sert vraiment à rien si elle ne nous apprend pas à détester l’illusion. La fiction est nuisible si elle ne nous apprend pas à retourner à la réalité et à l’aimer.
Même si on a l’impression que la réalité ne nous aime pas. Même si cette dernière ressemble à un immense brouillon, rempli de ratures, de corrections illisibles, de lapsus, de pattes de mouches…
Ce n’est pas la réalité qui est affreuse, c’est son mélange insensé avec l’illusion.
L’art, c’est la mise au net de la vie.
Traduction de Tiphaine Samoyault.
1, place de Bernard Palissy 92100 Boulogne Billancourt