Monsieur chasse !

du 19 janvier au 18 février 2005
2H30

Monsieur chasse !

Lorsque "Monsieur part à la chasse", c’est, dit-on, pour pouvoir mieux surprendre sa femme en flagrant délit d’adultère. Avec Monsieur Chasse !, Feydeau s’avère un précurseur si génial qu’il nous approche de l’esthétique surréaliste et du théâtre de l’absurde.

Un vaudeville à l’esthétique surréaliste
La plus grande vitesse dans la plus grande complexité

Jouer Feydeau

Lorsque "Monsieur part à la chasse", c’est, dit-on, pour pouvoir mieux surprendre sa femme en flagrant délit de péché.

Au 40, rue d’Athènes, à Paris, eau, gaz, garçonnières et gens mariés à tous les étages.

Soit donc, Duchotel qui trompe sa femme en compagnie d’une maîtresse invisible, femme de Cassagne avec qui il est censé courir le lièvre…
Soit Moricet, médecin, poète dédaigné des muses, meilleur ami de Duchotel dont il courtise la femme.
Soit Léontine, ladite épouse, qui repousse ses avances, tout en bourrant, en sa compagnie, les cartouches du mari.
Soit Gontran, neveu volage et Bridois, redresseur de torts embrouillé.
Soit Madame de Latour, aristocrate devenue concierge pour avoir fauté en compagnie d’un dompteur et qui, désormais, s’affaire comme entremetteuse.

Est-ce parce qu'il ose aborder, dans cette comédie, la délicate question du désir frustré ? Ou parce que son goût pour les quiproquos, les mécanismes du rire prennent soudain un sens plus profond et se déploie librement avec talent, audace et jeux de réparties plutôt savoureuses ? Quoi qu'il en soit, on ne s’étonnera pas d’apprendre que ce Monsieur chasse ! était, de loin, aux yeux de l’écrivain, sa pièce préférée. Feydeau, en effet, tient dans ce vaudeville la dragée haute aux conjonctures les plus cocasses, méchantes, voire violentes. Surréalistes.

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C’est drôle à quel point l’idée de se plonger dans Feydeau est jouissive. J’ai déjà mis en scène des comédies (Goldoni, Shakespeare, ou même Rossini et Rota à l’opéra), mais Monsieur Chasse !, c’est différent. En quoi ? Raconter une histoire par le rire nécessite une telle virtuosité de la part des acteurs, et une telle pureté de mise en scène, que j’ai le sentiment d’avoir pour compagnes de travail les ressources les plus artisanales de l’art du théâtre.

J’ai demandé à Graciela Galan un espace "si léger qu’il puisse s’envoler à tout moment", à l'image de ces croquis au crayon dont seul l’élément central est finement étudié, laissant libre notre imaginaire de broder l’univers autour. Un espace presque vide, une feuille de papier où l’on puisse jeter nos personnages à la manière d’un Pavlov étudiant attentivement le comportement des animaux dans son laboratoire. Un endroit clair, lumineux…

Je pense souvent au film d’Alain Resnais Mon Oncle d’Amérique et à l’immense tendresse de son regard sur les tribulations humaines. Je dirigerai les acteurs vers ce qu’il y a de plus sincère, de plus subtil, de plus démuni dans leur compréhension des situations de la pièce, de façon à pouvoir donner libre envol à leur talent dans un des exercices les plus difficiles du répertoire théâtral : celui de la plus grande vitesse dans la plus grande complexité, comme l'exige Feydeau.

Car, qu’est-ce qui les fait courir, les personnages de notre Monsieur Chasse ! ? Qu’est-ce qui les fait s’emberlificoter dans les quiproquos, les mensonges de plus en plus énormes, les complications de l’intrigue, les coups de théâtre, les poursuites échevelées dont le dénouement final laisse spectateurs et personnages abasourdis ?

"En arrangeant les folies qui déchaîneront l’hilarité du public, je n’en suis pas égayé, je garde le sérieux, le sang-froid du chimiste qui dose un médicament. J’introduis dans ma pilule un gramme d’imbroglio, un gramme de libertinage, un gramme d’observation. Je malaxe, du mieux qu’il m’est possible, ces éléments. Et je prévois presque à coup sûr l’effet qu’ils produiront" écrivait Georges Feydeau en 1901. Lui-même, tout comme ses créatures humaines, était dévoré par le désir, assujetti par l’utopie d’un ailleurs qui existerait en lieu et place de la platitude de la convention bourgeoise. Le désir… Incantation suprême, seule capable de mettre en danger l’ordre existant et de donner un sens au vide.

Mais la cruauté du marionnettiste, lucide et amoral, fera qu’après toute une nuit de poursuites rocambolesques, aucun des couples n’aura réussi à se poser un instant. Même pas le mari et la maîtresse, ce qui est un comble…

Lors des répétitions de Avant la retraite, Denise Gence me disait souvent qu’il y a certaines choses dont on ne peut parler que par le rire, parce que mises en mots elles seraient inécoutables. Le chimiste Feydeau réussit ce miracle de nous faire communier dans un immense éclat de rire, tout en sachant que nous rions de nous-mêmes et des aspects les plus bas et les plus beaux de notre humanité.

Claudia Stavisky, Novembre 2003

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Ce qui m’a d’abord fait envie, c’est de jouer une comédie. J’ai peu joué de comédies et à chaque fois que je l’ai fait, j’ai gardé un souvenir extraordinaire du contact que cela crée avec le public. Dans une comédie, le public est un acteur supplémentaire, un acteur à part entière dans le spectacle. Dans une tragédie on peut jouer seul dans sa bulle, alors que dans une comédie, la participation du public est essentielle, c’est une espèce de circulation d’énergie qui est très jouissive.

D’autre part, je n’ai joué que des comédies étrangères, anglaises ou américaines, et j’avais très envie de jouer une comédie française. La seule que j’ai jouée est Le Mariage de Figaro, et Feydeau comme Beaumarchais ont cette particularité d’être dans une tradition du théâtre français basée sur l’art de la réplique. Pour un acteur, il y a une difficulté particulière et très attractive à se laisser guider par les répliques, de ne pas avoir de personnage présupposé comme on le fait souvent pour d’autres pièces, mais au contraire laisser le personnage se constituer par les situations qu’il accepte de jouer dans l’entraînement rythmique de la réplique. C’est un exercice assez difficile car cela réclame ce rythme et beaucoup d’énergie. Je trouve que ce que l’on découvre, dans la composition du personnage par cette manière que nous suggère la comédie, est plein d’inattendus et de surprises. Quand on construit un personnage avec des tas d’idées à l’avance, on est presque toujours dans des clichés psychologiques comportementaux etc. mais quand on se laisse aller à ce que propose l’auteur lui-même par son rythme, par sa dynamique et par son énergie, on découvre des choses auxquelles on ne s’attendait pas et surtout, qu’on n’aurait pas pu inventer. Tout cela me donne très envie de plonger dans cette expérience.

Et puis il y a aussi le point de vue qu’on a aujourd’hui sur Feydeau. Il y a peu de comédies aujourd’hui. Je veux dire qu’il y a beaucoup de "comiques", mais il n’y a pas de comédies ! Je pense que la comédie au théâtre est absolument essentielle. Maintenant qu’avec Feydeau on est un peu débarrassé du cynisme du vaudeville un peu fier de lui-même, avec lequel la société de l’époque se contemplait des situations qu'elle connaissait bien, on voit qu’il y a dans son écriture un regard noir sur l’humanité, même s’il reste un faiseur de comédies.

Il en est de même chez Molière dans Le Bourgeois gentilhomme ou Le Malade imaginaire, qui sont deux comédies mais qui racontent les choses d’un point de vue critique de la société du temps. Je trouve que maintenant, on peut aborder Feydeau avec ce regard là, tout en privilégiant la comédie, en restant dans la forme incontournable de la comédie. Il y a finalement un regard assez misanthrope sur les travers, la médiocrité, la trivialité des situations qu’il met en scène. Oui, c’est parfois même presque délirant ! Cela dépasse largement la situation de la comédie, ça devient fou, absurde, comme dans les histoires que raconte Raymond Devos… Chez Feydeau, il y a ce surréalisme-là.

Voilà les axes qui me donnent envie de tenter l'aventure. Ils ne sont pas très liés au personnage de Moricet c’est vrai, bien que j’aime beaucoup le personnage, mais c’est l’aventure dans sa globalité, dans sa totalité, qui m’a donné envie de faire ce choix.

Didier Sandre, Avril 2003

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  • En plein vertige

"Georges Feydeau porte le vaudeville à son point de perfectionnement le plus haut et jouit auprès du public d’un succès énorme et pratiquement ininterrompu, depuis 1892, date de sa première grande pièce Monsieur chasse !. Il emploie tous les procédés classiques du genre qui lui ont valu les qualificatifs "ingénieur du rire" et "horloger de génie" : complications des intrigues, coups de théâtre, quiproquos, lettres remises au mauvais destinataire ; les gens qui ne doivent pas se rencontrer sont toujours mis en présence, mais ils ne se reconnaissent qu’au moment de la burlesque catastrophe finale qui entraîne tous les personnages ; les mensonges sont de plus en plus énormes, tout le monde se poursuit à un rythme échevelé et le dénouement laisse le spectateur ébaudi. […]

Le problème du couple, l’absurdité de la condition humaine et le pessimisme sont, chez Feydeau, des caractéristiques modernes. Les thèmes dont il traite, également : ils rappellent assez ceux de Ionesco. Les deux auteurs mettent l’accent sur l’ennui, la platitude, le manque d’initiative et d’imagination ; l’isolement, l’impossibilité et le refus de communiquer, le désespoir, l’inutilité du langage. L’un et l’autre créent un univers absurde, à la fois parfaitement logique et parfaitement fou, à l’image du monde moderne. Naturellement, les moyens employés par Feydeau et par Ionesco pour illustrer ces thèmes sont très différents. Chez Feydeau, les thèmes sont cachés par la technique et l’action  Il a choisi d’écrire des vaudevilles dont les procédés artificiels conviennent parfaitement aux fantoches qu’il a mis en scène. Tels des guignols, on peut prévoir leurs mouvements lorsqu’on tire certaines ficelles. Feydeau les jette dans l’action et nous abasourdit en multipliant les incidents qui, selon Robert Kemp, sont un des secrets de son succès : "… c’est justement ce foisonnement d’épisodes, ce martèlement de surprises qui nous "possède", qui nous abat".

Tout cela se déroule à un rythme accéléré dans une atmosphère de suspense et de brutalité. Sentiments, désirs, réactions, sont violents : on se poursuit, on s’enfuit, on se met en joue, on se menace, on appelle la police. N’est-ce pas là l’atmosphère d’un film d’espionnage ou d’un western ? Le personnage de "la victime au cœur tendre" (Léontine) qu’on exploite et dont on se moque fait penser à Charlie Chaplin ou au Bip du mime Marcel Marceau. Telles gifles tombent sur un innocent, telles poignées de mains entrecroisées rappellent les clowneries du cirque et celles de Charlie Chaplin. Les "gags" annoncent les frères Marx, et les énormes moyens mis en œuvre par Feydeau pour faire rire s’apparentent aux machines ingénieuses des comédies musicales et de certains films américains.

Comment s’étonner, après cela, de la faveur dont jouit encore Feydeau. Les jeunes l’adorent : "Si vous aviez vu comme la jeunesse était heureuse ! Elle ne faisait point cette moue que vous connaissez : "Voilà de quoi l’on s’amusait en 1900 ? Pauvres de vous !" Elle était étourdie, bousculée, en plein vertige." (l’Echo, 6 juin 1921)

Extrait de Georges Feydeau, ce méconnu
par Arlette Shenkan - Editions Robert Davis

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