Un prince amoureux d’une jeune paysanne : ce pourrait n’être qu’une variation de plus sur le schéma médiéval de la pastorale ou de la pastourelle. Mais avec Voltaire, sous l’influence des idées encyclopédistes des Lumières et à l’approche de la Révolution française, cela devient un thème subversif qui pose la question de la naissance, de l’égalité, des privilèges et de leur abolition.
Laurent Hatat, après Nathan Le Sage et La Précaution inutile, n’a pas fini de nous faire redécouvrir ces joyaux méconnus du « théâtre des idées » du XVIIIe siècle, tout en sensible finesse et délicatesse poétique.
« Voltaire dramaturge ? Bien sûr ses contes sont abondamment adaptés à la scène, mais ses vraies oeuvres dramatiques sont considérées dans le meilleur des cas comme des curiosités littéraires. Simplement on ne les lit pas et on se réfère à quelques-uns qui décrètent leur inadéquation avec nos scènes. Preuve absolue : ses pièces ne sont pas montées par les gens de théâtre ! Le serpent se mord la queue depuis des décennies.
Je suis un farouche partisan du dramaturge oublié et je le prends à bras le corps. À travers ses thématiques, sa vivacité d’esprit et son humour, je vois se dessiner un bilan amer de nos avancées en matière d’égalité, de liberté, de sexualité…
Dans cette petite comédie en trois actes et en décasyllabes de 1749, l’amour semble donc plus fort que les conditions... Révolution sociale à l’époque mais aujourd’hui ? Les comédies " romantiques " , d’Hollywood à Bollywood, en passant par tous les sous-produits télévisuels qui nous inondent ont décliné la recette jusqu’à l’écoeurement. Comme je ne suis pas friand d’entreprise de dérision, quel intérêt de ressasser une fois de plus cette fable de la jolie jeune fille soumise, extraite de sa condition par un homme riche et avisé ?
Je veux revenir radicalement aux fondamentaux du texte. Qui a le droit au bonheur ? Ou plutôt, chez qui aujourd’hui la sujétion, la pauvreté, l’absence d’éducation ne nous choquent plus ? Cherchez bien. Et pourquoi ? Cela nous paraît-il « naturel » à nous aussi ? Et aussi, quand on est pauvre et femme, l’unique ascenseur social serait d’être jeune et belle ? Qu’en est-il des autres femmes ?... Et qu’en est-il du désir ? Mon théâtre d’actrices s’échappe en douce du carcan de la forme littéraire par la force et l’impudeur de l’incarnation, il redonne toute la saveur de ces enjeux humains.
Voltaire nous revient, si proche qu’il en est touchant. »
Laurent Hatat
19, rue des Champs 59200 Tourcoing