Jacques Bonnaffé aime les textes qui ont du corps, les échappées belles, les poètes qui font danser les mots, les " voix d'instincts " . Nature aime à se cacher, adaptation d'un texte de Jean-Christophe Bailly, essai mi-philosophique mi-poétique sur l'animalité, fait appel à un danseur, Jonas Chéreau.
Logique si l'on songe que Bonnaffé, l'acteur, parle volontiers de " danser les textes " . Ils partagent ainsi sur scène la question du caché et du montré, qui relève autant de l'art de l'acteur que de celui de l'animal ou du danseur. Ce qui compte ici n'est pas la quête de la similitude mais au contraire l'ouverture au " tout autre " : comment cesser de se l'approprier, de le coloniser...
" C'est un jeu d'enfants qui aiment à se singer. Jouant avec le petit bouquin, quand l'un lit, l'autre singe. Juste cela tour à tour, un savant échange. " Car chez Jacques Bonnaffé, le burlesque est toujours là en embuscade, pour mieux toucher à l'épaisseur du réel et dégager le ciel des idées.
Laure Dautzenberg
« Le visible est le caché est un petit livre utile et précieux, son sujet n’est pas l’auto-fiction ni un de ses contournements compliqués, ni des souvenirs. On ne parle pas de moi. Je n’est pas le sujet, le sujet est l’autre, radicalement. L’animal détaillé par Jean-Christophe Bailly est d’un autre monde, il est celui qui apparaît où il se cache, dans le visible. Une connaissance lointaine, un savoir. Qui nous parvient ici étoffé de considérations magiques propices à l’expérience du théâtre, tels ces fragments d’Héraclite d’où sort l’aphorisme Nature aime à se cacher, chose curieuse à prononcer sur la scène où l’on doit se faire voir, (tout montrer selon certains). Cage de scène où l’on aime évaluer le naturel ou agiter la question de la représentation.
Comment mettre les pieds dans un texte, ne pas réfléchir, se dire qu’il y a urgence. J’aime à délier certaines splendeurs empaquetées dans l’écriture. À ce moment-là, parler est déjà une danse. Dans ce texte-ci nous sommes d’abord confrontés à des pensées, aussi captivantes qu’images et disposées sous jeu des mots et magie de forme. Ces pensées pourraient être celles qui nous traversent en contemplant l’oeil d’une bête, son insondable.
Nature aime à se cacher : il y a de la philosophie dans ce propos et nous dansons dessus. Autant dire que nous dédions à Friedrich et au penseur nietzschéen qui sommeille en chaque spectateur ces gaités savantes ! Acteur-danseur à deux liés pour dévider ce poème didactique, méditation sur le naturel et ses dédoublements sémantiques. Nature aime à se cacher peut sembler burlesque à exposer sur scène. Drôle d’endroit pour ne pas se faire voir ! Sauf si vous y faites l’animal. Qui se cache où l’on voit ? Disparu du centre où il se trouve. C’est le sujet des toiles de Gilles Aillaud, animal ou vivant, acteur, demeuré ou bête de scène, encagé, diffracté.
Pour étayer cette rencontre duo avec la danse, j’ai esquissé en courrier d’annonce que c’est un jeu d’enfants qui aiment à se singer. Jouant avec le petit bouquin, quand l’un lit, l’autre singe. Juste cela tour à tour, un savant échange. À la fin on voit deux singes lire. »
Jacques Bonnaffé
76, rue de la Roquette 75011 Paris