Un théâtre de proximité
L’écriture théâtrale exacerbée
Mugiscué
Premières notes de répétions
Extrait
Une femme seule, à l’orée de la nuit ou de l’aube, entame un combat contre les angoisses qui l’empêchent de vivre. Sa parole est sa seule arme. Une parole désordonnée, cinglante, teintée d’humour noir, mais qui est aussi un vibrant appel au mouvement et à la vie. A qui s’adresse cette femme. A elle-même ? Aux autres ? Qui sont les spectateurs qui viendront l’écouter ? Existent- ils vraiment ou sont-ils les fruits de son imagination ?
« A l’heure des communications planétaires, le théâtre en appartement sauvegarde les ressources de l’intime si souvent sacrifiées sur les grandes scènes. Ainsi les mots s’entendent simplement, l’éclat de l’œil ne se perd pas et les plaisirs de la proximité, familière et intimidante s’exercent. Ce théâtre participe aux débats esthétiques et s’engage par le détour qui lui est propre, dans les combats de société. Petit comme une pomme, fragile comme une pivoine, il peut être aussi meurtrier qu’une balle. L’intime n’est l’opposé ni de la révolte ni de l’histoire, et souvent, le théâtre en appartement leur a servi de terrain d’expérimentation. » Georges Banu, préface de Théâtre en apparement/théâtre de crise de Sarah Meneghello
« Ce ne n’est pas de ma faute s’ils disent qu’il n’y a pas d’auteur de théâtre alors que je suis là, s’ils continuent de s’accrocher au découpage en situation dialoguée avec des personnages qui se répondent les uns aux autres, comme si dans la vie les gens se répondaient les uns aux autres. » Christine Angot, la chronique de Christine Angot, Têtu, janvier 2006
C’est peut être l’auteur qui parle le mieux de son texte. Et ce grâce à une mise en abîme vertigineuse : Christine Angot parle de Normalement, dans Sujet Angot, elle fait dire à son compagnon, dans une lettre lui étant destinée :
« Ton dernier texte m’a ému, Christine. Quelques phrases bien sûr, le Codec, ou bien « tu crois qu’on va y arriver ? Où on sera dans un an, deux ans, trois ans, etc. ? […] Et Léonore, elle sera où tu crois ? Tu crois qu’elle vivra à Paris ou à Montpellier, tu crois qu’on la verra ? » Ça m’a particulièrement touché. Ça m’aurait touché de toute façon. Ton écriture est tellement incroyable, intelligente, confuse mais toujours lumineuse, accessible, directe, physique. On n’y comprend rien, et on comprend tout. Elle est intime, personnelle, impudique, autobiographique, et universelle. Tu émeus sans les trucs, sans être émotive, tu fais réfléchir avec trois bouts de ficelle, un miracle de désorganisation logique. La liberté sans le chaos, l’ouverture sans la dérive. On part avec soi-même grâce à toi, pas avec toi. Beau sans être esthétique, le texte a des facettes multiples. Beau d’avoir du sens. Beau, de dire sans redondance, mais de façon multiple, comment quelqu’un voit la vie. »
On comprend à la lecture ce ces quelques lignes pourquoi l’écriture de Christine Angot est une écriture théâtrale nouvelle. C’est une recherche formelle qui casse les codes traditionnels : le récit y est déstructuré, monologue et dialogue se mêlent, la notion de personnage est questionnée. C’est aussi une écriture de la sensation, une pulsion vitale, bien loin de toute psychologie.
Un collectif. Composée de comédiens, metteurs en scène, traducteurs, la compagnie Mugiscué existe depuis 2003. Issus du Studio- Théâtre d’Asnières, du Conservatoire National, de l’Académie Théâtrale de l’Union de Limoges, ses membres travaillent ensemble de manière collégiale.
Le choix d’une écriture contemporaine dissonante. Le projet artistique de mugiscué est fondé sur le choix d’auteurs du XXème siècle travaillant sur les nouvelles formes d’écritures théâtrales. Les textes et les dramaturges originaux, subversifs, provocants, orientent donc naturellement les choix de la compagnie. (Marie N’Diaye, Christine Angot…)
Le théâtre contemporain métissé/exilé. L’intérêt de la compagnie pour les écritures contemporaines étrangères ou empreintes d’une double culture est aussi au coeur de sa démarche artistique. Avec un intérêt tout particulier pour l’Amérique latine (Copi, Nelson Rodrigues…)
Le projet
Avec ce texte de Christine Angot nous souhaitons mettre face à face deux notions a priori antithétiques : la proximité et la théâtralité. Normalement est un texte écrit avec un langage théâtral exacerbé : grande musicalité du phrasé, dialogue monologué, personnage identifiable, récits déstructurés.
Il nous parait intéressant de confronter cette langue singulière à la proximité des spectateurs. Pour cela, nous avons choisi de limiter la jauge à 20 places. Nous souhaitons d’abord présenter le spectacle dans des appartements. Le rapport au public sera ainsi direct et nous permettra de brouiller les codes sociaux liés au lieu théâtral. Il ne s’agira pas de faire un spectacle réaliste ou intime. Au contraire : investir le lieu du réel et de l’intime avec une parole théâtrale très forte, un jeu théâtral assumé sera un moyen de troubler nos certitudes et de mieux faire entendre la douleur brutale qui émane de Normalement.
Intentions de mise en scène
Le procédé théâtral doit être de l’ordre du rituel. L’actrice semblera enfermée dans une pièce, soliloquant depuis toujours. Les spectateurs prendront place autour d’elle. Le dispositif scénique sera très épuré. Il se composera d’une table et d’une chaise pour mettre en valeur la parole prononcée et l’actrice.
Nous tenterons, par un travail minutieux, de comprendre toutes les références du texte (références intertextuelles, références à la vie de l’auteur), suivant ainsi les méandres de la pensée du personnage et la logique interne du monologue.
Cependant, le jeu de l’actrice ne sera en aucun cas un jeu psychologique. Notre direction d’acteur sera avant tout musicale. Le rythme, les silences, les syncopes, les jeux de sonorités qui composent le texte seront les principaux appuis de jeux. Son corps, sa bouche et sa voix, traversés par les mots, seront les seuls vecteurs du sensible et de l’émotion. Au plus près du texte.
Premiers jours de répétitions
Dès les premiers jours de répétitions nous est apparue une évidence : ne pas tout de suite aller dans l’évidence du phrasé. L’écriture de Christina Angot impose un rythme rapide. Il est nécessaire à la comédienne d’aller d’abord à l’encontre de ce phrasé. Pour s’approprier le texte et ensuite, bien sûr, pour rentrer dans toutes ses subtilités. C’est pourquoi nous cherchons une qualité de silence et une lenteur assumée. Le premier travail est de respirer de manière large, et de trouver comment cette respiration profonde va amener la parole. Et devenir ainsi vitale.
Cette lenteur et ce silence nous sont aussi un moyen de sortir de toute analyse psychologique. La comédienne est seulement à l’écoute du texte, elle entre dans ses rouages. Elle se l’approprie, mêlant ainsi son univers à celui de Christine Angot.
« Normalement, là, j'ai envie de crier.
S'endormir déjà. Dormir, s'endormir, s'éveiller. S’apercevoir que tout est là. Tout ce qu'il faut, déjà, s'apercevoir de ça.
Comme les poules je me lève tôt. Groggy par les comprimés.
Tu la craches ta Valda ?
L'impression d'avoir échappé au déséquilibre. « Elles sont équilibrées ces petites. »
Les danseurs veulent toujours voler. « Tu ne peux pas savoir comme ça me fait plaisir, de les voir comme ça. »
C'est bon pourtant de dormir, de rester bien au chaud dans son petit lit. La folie, et bien sûr, la souffrance, de ne pas être entendu.
Non, il ne faut pas s'enfoncer dans le trou noir.
Des choses que vous pouvez noter aussi, pour vous. On n'a jamais vu ce danseur, excellent, rater son coup.
L'impression d'avoir échappé au déséqui¬libre.
Quand on regarde un spectacle, on ne pense pas à ce qu'on voit. Mais derrière à d'autres images. Dans sa tête à soi. Enfin, moi.
« Elles sont équilibrées ces petites, je suis contente. »
Les danseurs veulent toujours voler.
« La question du langage et de l'enfermement », car l'enfermement la fascine.
Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin.
On ne jouera pas sur l'agression du public. Avec Mathilde, on n'agresse pas le public. Ce ne sera jamais interactif. Jamais on ne leur demande de marcher. Ou de parler.
La manière dont elle s'est mise comme ça.
Très proche, près de lui, contre lui. Avec les pieds.
Depuis que Dominique est mort, la danse contemporaine est morte.
Je n'étais pas cruel quand j'étais petit.
Non. J'ai aveuglé une personne.
Comment ?
En mettant mes doigts dedans.
Les danseurs, ils ont besoin de.
La clinique, l'hôpital psychiatrique. Hélène, accepteriez-vous de la compote ? Un morceau de roquefort ?
Un regard peut tout dire comme on dit. Comme on dit. Comme les poules comme on dit. Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin. De venir dans ma chambre un peu chaque matin.
Elles sont équilibrées.
Dans toutes les créations, il y a des¬ blessures.
Dans le théâtre à l'italienne, il y a l'œil du roi. Les yeux à un mètre au-dessus du pla¬teau. Et la distance du milieu de la scène correspond à la largeur du cadre. Pour les invités de marque.
Elle avait pris ce pli.
La fatigue. Un rapport au souffle direct, un état d’oxygénation un peu comme en montagne. L’essoufflement, le souffle. […] »
21, avenue du Maine 75015 Paris