Nous avons fait un bon voyage
mais...
Préambule
La collection de cartes postales
Pourquoi, alors, s'y intéresser?
L'écriture
Le spectacle
Nous avons fait un bon voyage mais...
Qui na pas rêvé à partir de quelques mots dun ou dune inconnu(e) lus au dos dune carte postale de reconstituer une histoire, dinventer à cet(te) inconnu(e) une famille ? Corine Miret et Stéphane Olry lont fait, à partir dune carte postale venue de Trouville...
Au dos de celle-ci, ils ont lu ces mots : "Chère Margot, Nous avons fait un bon voyage, mais nous ne passons pas dagréables vacances avec Jean-Jacques. Il sennuie, il veut revenir, il ne sort pas, ne mange presque pas, ne parle pas et fait la tête, alors nous reviendrons très bientôt. Grosses bises. Amitiés à M. C*** et à Bernard. A bientôt. Danièle.", ils se sont pris au jeu. Qui était Jean-Jacques ? Alors ils ont acheté et lu beaucoup dautres cartes postales. Ils en ont lu à haute voix à des amis. Ainsi est née lidée dun spectacle qui ressemblerait à une conférence avec commentaires, explications, projections et qui retracerait, dune part lhistoire de la carte postale depuis son apparition, mais surtout lhistoire reconstituée et/ou fantasmée dune famille qui a beaucoup écrit. Une reconstitution/suspense qui ramènera peut-être au Jean-Jacques de la première carte postale.
Corine Miret et Stéphane Olry aiment dans leurs différents spectacles faire vivre la mémoire, la trace, lanecdote. Ils aiment aussi proposer au public une intimité.
Nous avons fait un bon voyage mais est tout cela à la fois.
Il y a trois ans de cela, nous promenant sur les quais, nous avons eu l'idée de lire le verso des cartes postales que vendait un bouquiniste. Nous découvrîmes ainsi ce texte écrit sur une carte postale expédiée de Trouville (Calvados) :
Chère Margot,
Nous avons fait un bon voyage mais nous ne passons pas d'agréables vacances avec
Jean-Jacques. Il s'ennuie, il veut revenir, il ne sort pas, ne mange presque pas, ne parle
pas et fait la tête, alors nous reviendrons très bientôt.
Grosses bises
Amitiés à M. C*** et à Bernard
A bientôt
Danièle.
Nous fûmes troublés par ces quelques lignes. Qui était Jean-Jacques ? Un adulte ? Le mari de Danièle ? Un enfant qui lui aurait été confié ? Une infinité de scénarii pouvaient s'imaginer à partir de cette carte résumant en quelques lignes un départ en vacances, un séjour raté, un retour à la maison. Toute une vie surgissait qui allait bien au delà de ce récit.
A la suite de cette découverte, nous prîmes l'habitude de lire les cartes postales chez les bouquinistes. Nous sélectionnions celles qui retenaient notre attention, nous les achetions : de retour à la maison, nous nous amusions à les lire à voix haute, pour nous ou pour les amis se trouvant là. Nous avons constitué ainsi au fil de nos promenades, une collection de cartes postales.
Pour finir, il nous vint l'idée d'écrire un spectacle à partir de cette collection. En hommage au mystérieux Jean-Jacques le titre en est : "Nous avons fait un bon voyage, mais..."
La collection de cartes postales
Nous avons calculé que depuis 1994, nous avons lu à nous deux plus de quinze mille cartes postales. Nous en avons acheté environ un millier.
Les bouquinistes effectuent un tri à l'intérieur de leur collection, regroupant les cartes postales par région d'origine ou par époque. Les cartes les plus anciennes ou celles venant de pays étrangers sont les plus chères. N'ayant pas les moyens de nous procurer un grand nombre de ces dernières, ce sont donc les cartes postales les plus banales, contemporaines des trente dernières années et envoyées de France que nous avons surtout collectionnées.
Les cartes postales sont données ou vendues à l'occasion soit d'un déménagement, soit d'un décès. Nous ne pouvons hélas pas connaître la correspondance adressée aux gens qui jettent à la poubelle les cartes une fois qu'ils les ont lues : nous n'avons accès qu'à la correspondance de gens qui gardent le courrier qu'ils reçoivent. Ce sont aussi des cartes postales qui furent jugées susceptibles d'être données ou vendues. Le corpus de texte qui nous est accessible est donc filtré et censuré : il se ressent de cette contrainte. Nous ne lisons que ce que les individus ont jugé suffisamment négligeable ou anodin pour pouvoir être mis en vente, donc rendu public. Par exemple, les guerres n'apparaissent qu'au travers des correspondances témoignant de la vie "à l'arrière" car les cartes des soldats au front étaient censurées. Autre exemple, les cartes postales d'amour sont rares. Probablement, les amoureux s'écrivent plus volontiers des lettres qu'ils gardent par la suite et que les familles hésitent à produire.
Non, décidément, ce qui nous reste est bien ce qui a été jugé sans valeur, insignifiant et sans qualité par les gens qui l'ont mis sur le marché.
Au demeurant, la carte postale -excepté l'édition que fit Georges Perec de certaines qu'il écrivit- n'est pas considérée comme un genre littéraire. C'est souvent une correspondance de convenance, écrite rapidement, forcément courte et aussitôt oubliée.
Pourquoi, alors, s'y intéresser?
D'abord, si les auteurs de cartes postales n'ont pas d'ambition littéraire, ils obéissent tous à la contrainte formelle de brièveté. La place est limitée sur une carte postale, et si divers stratagèmes sont trouvés pour tourner la difficulté (écrire petit - sur plusieurs cartes - en feuilleton), l'obligation de tout dire en peu de mots oblige les auteurs à concentrer leurs pensées et leurs sentiments qui trouvent alors une vigueur et une fraîcheur d'expression étonnante.
Ensuite, on notera que la carte postale est une communication à sens unique qui n'appelle généralement pas de réponse : on la griffonne, on la poste, on l'oublie. Et ces quelques mots abandonnés, sans conséquence, disent souvent plus que n'aurait pu dire une écriture plus préméditée, plus guindée.
Enfin, la carte postale nous fait pénétrer de plain-pied dans une histoire : il n'y a pas d'introduction, les conclusions sont suspendues, le lecteur est supposé connaître le contexte. Ce flou permet au lecteur entre les mains duquel tombe la carte postale d'imaginer tout un univers hors-cadre.
Ainsi donc, si la carte postale dit peu, elle donne énormément à imaginer. Trois fois rien : quelques lignes, une écriture, une image envoyée, et voilà qu'apparaissent un auteur, son correspondant, leurs relations, toute une histoire. Et chaque spectateur peut, en laissant vagabonder son imagination, créer son petit théâtre, une mosaïque faite de minuscules fragments de vie.
On écrivait au début du siècle sur des cartes pour passer commande à un fournisseur, pour mander un ordre à un serviteur éloigné, pour féliciter à l'occasion d'un baptême, d'un mariage. On écrit aujourd'hui une carte postale au début des vacances, pour fêter le nouvel an ou un anniversaire. Au-delà des formules convenues, c'est lensemble de la vie quotidienne à travers le siècle qui transparaît en filigrane. Les sujets évoqués changent : nos grands-parents n'hésitent pas à prendre la plume pour économiser trois francs six sous : aujourd'hui, cette forme de correspondance rimbaldienne, nous apparaît mesquine. En revanche, les correspondants se répandent de nos jours en d'interminables chroniques de leurs maladies, de leurs problèmes de santé, en rentrant dans des détails qui auraient semblé déplacés au début du siècle.
En somme, au travers de toutes ces cartes postales c'est aussi le lien familial, affectif ou commercial qui unit les correspondants au travers d'un pays et de son histoire qui se tisse sous nos yeux.
C'est le plaisir de la découverte de la vie cachée sous les textes des cartes postales que nous souhaitons faire partager aux spectateurs.
Le premier travail auquel nous nous sommes astreints fut, nous l'avons dit, un travail de lecture à voix haute de l'ensemble de notre collection. Nous avons éliminé ainsi les cartes dont l'intérêt était faible ou ne tenait que sur une particularité (écriture, orthographe, image) trop réduite pour tenir à la lecture.
Nous avons ensuite entrepris de trier les cartes par ensembles :
par thème
par destinataire
par auteur
par famille
En distinguant soigneusement les intersections qui ne manquèrent pas d'apparaître.
Les thèmes apparurent au fur et à mesure des lectures : (en vrac et au hasard) "amour", "des vacances d'été réussies", "des vacances d'été ratées", "chers collègues", "les bonnes copines", "carte du personnel", "maladie", "vux", "les joies de la familles", "bigots", "incompréhensibles", "vie pratique", "demande de service", "poésies", etc.
Certains ensembles créés à l'origine furent défaits, d'autres furent créés.
Il nous est vite apparu à force de consulter les bacs des bouquinistes, de fouiller dans les étals des vide-greniers, ou des magasins des Compagnons d'Emmaüs qu'une carte postale était rarement isolée.
Un regroupement par auteur nous permit de tracer les portraits de certains personnages : ainsi cette dame, Monique-Aline Serrurier, qui tous les quatre mois envoie un poème célébrant la libre pensée en vers de mirliton à "M. Tasca, athée et bouquiniste". Carte que ce dernier vend ensuite sur les quais mêlée à toutes celles se trouvant déjà dans ses boîtes. Le sel de cette anecdote est que nous avons rencontré ce bouquiniste, qui, intrigué de nous voir lire toutes les cartes postales quil vendait nous demanda ce que nous cherchions. Nous lui expliquâmes notre projet de spectacle, auquel il sembla prendre beaucoup d'intérêt. Nous sommes retournés plusieurs fois à ses boîtes : à chaque fois nous y trouvâmes une nouvelle carte de Monique-Aline Serrurier que nous avons achetée. Aujourd'hui, la question est de savoir si le bouquiniste ne les met pas là parce qu'il sait que nous allons les utiliser pour le spectacle, voire si il n'écrit pas lui-même ces vers de mirliton, auquel cas Monique-Aline Serrurier serait un personnage de pure fiction.
Ces regroupements nous fournirent aussi de précieux renseignements sur les destinataires des cartes postales. Rassembler les auteurs et les destinataires dans des ensembles familiaux nous incita à effectuer une série de recherches et d'investigations pour connecter des cartes les unes aux autres s'apparentant à un travail de service secret. Il y a quelque chose d'un peu vertigineux à reconstituer la vie de toute une famille. Nous découvrîmes ainsi que l'auteur de cette carte expédiée du Vieux Brissach et présentant une vue sur le Rhin :
papa chérie
maman chérie,
Je suis un homme tu sais j'ai eu la piqur sa fait un peu mal vivement que je mette mes chausson et que je sois bien au chaud avec mon petit papa chérie et maman chérie. mon chemin doit etre propre tu sais j'ai acheter un serrvetement, sa coute 2300F je commence a etre rêde tu ses l'armé ses filouse moi qui radin. alors tu sais on n'est en repos pour 48 H sa fait du bien et aussi amire le beau paysage très jolie. et tu sais l'armé et pas si terrible et maintenant on commence à si faire moi j'e vais au cinéma tu sais il joue des films d'ercule très bien comme tu aime bien. papa doit toujour bien manger et papa attention au tiecer gagne leux ce tiecer du 30. et du 31. toi qui gagne toujour. pour dimanche prochain j'ou moi le nûmerot suivant le 4-8-10 tu verra. pour-vu que je gagne et bons baiser. et à demain.
Bonne nuit tout les deux maman chérie, maman chéri. (sic)
... avait glissé sa carte postale dans une enveloppe sur laquelle il avait marqué l'adresse de son correspondant. Il avait alors appuyé fortement sur son stylo, et l'empreinte de l'adresse est restée gravée sur l'image de la carte postale. En inclinant la carte sous un certain angle par-rapport à la lumière on découvre que les destinataires à qui était adressée cette carte :
M. et Mme C*** 211bis, rue de BERCY 75012 PARIS
sont ceux-là même à qui était déjà adressée la carte postale de Trouville parlant de Jean-Jacques. Ainsi donc le militaire en Allemagne est Bernard, le fils de M. et Mme C***.
Cette découverte nous incita à poursuivre notre enquête en espérant que nous finirions par découvrir qui était Jean-Jacques.
Ces investigations nous permirent de découvrir un corpus de 354 cartes postales adressées de 1953 à 1984 à une même adresse de la banlieue sud. Ces cartes postales retraçaient la vie de toute une famille trente ans durant, avec des personnages appartenant à quatre générations. A force de scruter leur correspondance, ils devinrent nos intimes, et c'est avec une certaine émotion, qu'un dimanche de l'hiver 1998 nous nous sommes rendus à l'adresse indiquée sur les cartes.
C'est là que découvrîmes enfin qui était Jean-Jacques.
Nous avons mené de front écriture et répétitions. Ces dernières furent ponctuées par des répétitions publiques qui nous permettaient de tester le travail en cours.
A l'issue de ce travail, le spectacle se présente ainsi : deux conférenciers -un homme et une femme- sont assis derrière une table. Leurs costumes sont sobres comme ceux des agents du FBI.
Il a été distribué au spectateur avant qu'il ne pénètre dans la salle, la reproduction de quelques cartes postales, des notes de synthèse sur certains aspects de l'affaire, ainsi qu'une tablette et quelques feuilles de papier vierge qui permettront à ceux qui le désirent de prendre des notes.
Les conférenciers présentent aux spectateurs une collection de cartes postales. Ils lisent, commentent et explicitent certaines cartes : ils racontent comment elles furent trouvées, quelles déductions furent tirées de leur lecture, quels liens les relient. La parole se distribue entre les deux conférenciers : parfois l'un présente les faits, et l'autre lit les cartes postales, parfois la situation s'inverse. Ce partage de la parole permet de rythmer la lecture.
Les spectateurs sont assez proches des conférenciers pour pouvoir décrypter l'image de la carte postale que ceux-ci ont en main. Les conférenciers font circuler certaines cartes postales parmi les spectateurs. Les éléments marquants de l'enquête sont présentés sur des papers-boards.
Un rétroprojecteur permet de projeter des détails fortement agrandis des textes. Un projecteur diapositive fait découvrir des vues des cartes postales, ou des lieux photographiés par les conférenciers afin d'illustrer leur propos.
La lumière est allumée et manipulée par les conférenciers. On passe ainsi d'un état lumineux à un autre sans qu'aucune autre intervention extérieure ne soit sensible.
Un magnétophone à bande permet d'entendre lenregistrement du témoignage de personnages évoqués.
A la toute fin, un des auteurs de cartes postales -retrouvé par les enquêteurs- est invité par ces derniers à prononcer la conclusion de la conférence. Ce "coup de théâtre" conclue le spectacle qui dure une heure et demie avec entracte.
A l'issue du spectacle ainsi que durant l'entracte, les spectateurs sont invités à découvrir l'ensemble de la collection de cartes postales exposée autour d'eux.
A l'issue du spectacle ainsi que durant l'entracte, les spectateurs sont invités à découvrir l'ensemble de la collection de cartes postales exposée autour d'eux.
17, boulevard Jourdan 75014 Paris