« Des archives existent, planquées dans une armoire des Éditions de Minuit. Il faudrait penser à aller les cambrioler. » (Lettre aux acteurs)
Que représente le Nouveau Roman aujourd’hui ? Une académie. Des auteurs devenus piliers d’études littéraires universitaires, des auteurs qu’on enseigne, mais qu’on lit peu. Des statues. On peinerait dans une rentrée littéraire à débusquer des traces de son influence chez les romanciers d’aujourd’hui. Pas d’héritiers fiers et proclamés. Quelques marques d’un respect distrait.
Dans le même temps, on se complait à l’idée que Robbe-Grillet, Sarraute, Duras, Simon représentent chacun à sa manière, la figure romantique du Grand Écrivain, peut-être même sont-ils nos derniers Grands Écrivains, ceux qui assurent encore la renommée de la littérature française à l’étranger.
À l’image de La Nouvelle Vague au cinéma, j’ai l’impression que le Nouveau Roman est devenu vénérable, mais qu’au fond, le milieu littéraire parisien les a au mieux éloignés de leur préoccupation, et plus vraisemblablement bannis. Qu’à l’image de la Nouvelle Vague, nombreux et majoritaires sont « les gens du métier » qui restent persuadés que Le Nouveau Roman a pourri la fiction française, l’a contrainte, étranglée, tuée et qu’il était grand temps que nos écrivains se remettent à écrire des vrais bons gros romans, avec intrigue, sujet et personnages, tels que la littérature américaine n’a jamais cessé d’en produire.
Il y a donc quelque chose qui résiste, transgresse, qui continue de fâcher dans cette entreprise du Nouveau Roman, quelque chose qui fait que ce mouvement demeure, plus de 50 ans après sa naissance, une avant-garde. Cette force, il me semble, on peut la nommer, il s’agit du réalisme, réenvisagé par les nouveaux romanciers, et que Nathalie Sarraute a incroyablement défini : « Ce que j’appelle réalisme, c’est toujours du réel qui n’est pas encore pris dans des formes convenues. »
Le Nouveau Roman, c’est avant tout un groupe d’écrivains dont chacun refuse d’exprimer ou de représenter quelque chose qui existerait déjà (les formes convenues du réel), mais qui cherche au contraire à produire quelque chose qui n’existe pas encore. On voit bien combien ce projet, à l’époque et aujourd’hui, est antipathique à tout ce que l’idéologie dominante ne cesse de ressasser. Dans ma mémoire littéraire, les oeuvres du Nouveau Roman correspondent à mes lectures adolescentes. C’est avec Duras, Sarraute, Robbe-Grillet que j’ai expérimenté le genre romanesque, et ainsi, je peux dire que j’ai découvert les ruines du roman avant de connaître la splendeur du roman. Évidemment, ces lectures ont marqué mon goût, je ne m’en suis jamais détaché, même si, étrangement, j’en ai très peu parlé ensuite. Aujourd’hui, alors que j’ai le sentiment d’achever un cycle dans mon travail de cinéaste, j’éprouve le besoin de revenir à l’écriture.
Profitant de mon association avec le Théâtre de Lorient, j’ai dans un premier temps écrit une pièce, La Faculté que j’ai confiée à Éric Vigner. Puis, j’ai repris la rédaction d’un roman dont l’écriture s’est suspendue depuis cinq ans au gré des tournages successifs. Enfin, j’ai décidé après Hugo et le Romantisme, de mettre en scène un nouveau spectacle autour du Nouveau Roman. Dans les deux ans qui viennent, je replace ainsi la littérature au coeur de mon travail. Et je ne serai pas surpris qu’à l’issue de ce parcours, le prochain film soit une lecture d’une oeuvre romanesque.
Christophe Honoré
Alors, par où commencer ? Ce sera un spectacle d’écrivains. Tous les personnages seront des écrivains. Ils auront tous été photographiés, sauf trois d’entre eux, au 7 rue Bernard Palissy le 16 octobre 1959 devant les Éditions de Minuit. Ils constituent le groupe dit du « Nouveau Roman ». Étaient présents ce jour-là : Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Claude Ollier, Claude Mauriac, Jérôme Lindon, Samuel Beckett, Robert Pinget, Nathalie Sarraute. Manquaient à l’appel Michel Butor et Marguerite Duras.
Dans ces années-là, une jeune écrivain était bien plus célèbre et lue que tous ces écrivains réunis, c’est Françoise Sagan. Elle sera aussi du spectacle.
Il n’y a pas de pièce écrite, mais il y a tous les livres écrits par ces écrivains, tous leurs articles, leurs prestations radiophoniques et télévisuelles. Il y a donc bien assez de mots pour remplir chaque personnage.
L’idée étant que chacun de vous s’approprie un écrivain. Ce sera le premier temps du travail. Découvrir ensemble ces écrivains, les lire, les regarder, les fantasmer, les réciter. À aucun moment, nous ne chercherons la vraisemblance. Il ne s’agit pas de faire de vous des marionnettes grimées. Non, nous devons nous forcer à être plus libres que ça. Plus intrépides, plus joyeux. Tout est permis. Parce que ces écrivains sont avant tout des inventeurs. Et aussi des membres d’un club clandestin. Et aussi des hommes de main d’une mafia littéraire. Et aussi les acteurs d’une stratégie de communication...
Nous partirons de cette photo de 1959. Ces gens qui attendent un des leurs, la vedette du moment, Michel Butor, pour se faire photographier autour de lui. De quoi ça parle des écrivains au bord d’un trottoir attendant d’être photographiés ? Comment ça se tient ? Qui blague avec qui ? Qui s’ennuie, se sent humilié, aimerait rentrer au plus vite chez lui ? À quoi ils pensent surtout ? Aux livres en cours d’écriture, à leurs futurs lecteurs, aux écrivains qui leur succéderont, au succès ? Cette situation, l’attente de la photo, doit nous permettre tous les détours, toutes les subjectivités, toutes les prises de pouvoir de l’individuel sur le groupe, tous les déraillements, dans le temps, l’espace, le sujet...
Et il y aura deux hors champs : Sagan et Duras. Sagan, dont les romans et la vie semblent à l’opposé de ce groupe réuni sur un trottoir, mais pourtant, beaucoup d’amis communs, pourtant, Renais qui propose d’abord à Sagan d’écrire un scénario sur Hiroshima, pourtant, Proust écrivain adulé par tous... L’autre absente, Duras, est celle qui n’est pas invitée, celle que Lindon considère trop « NRF », trop Gallimard, celle qui ne cessera de répéter au fil des années qu’elle ne fait pas partie du Nouveau Roman, celle qui toujours refusera d’écrire un texte critique... Et celle qui dans l’esprit de la majorité des lecteurs, est aujourd’hui la déléguée de classe de l’école du Nouveau Roman...
J’ignore encore le traitement des hors champs. J’ai l’espoir que nous pourrions travailler avec la vidéo. Mais j’aimerais une vidéo non montée, qui s’enregistre dans le temps de la représentation... Une image dont la fabrication serait prioritaire sur sa projection... Nous en reparlerons.
Mais revenons au groupe, à ceux qui ont compris qu’il faut être plusieurs pour exister médiatiquement, à ceux qui commencent à tisser les réseaux d’une mondanité littéraire qui leur permettra d’atteindre les prix, d’être invités aux colloques... Ce groupe immortalisé par cette photo ratée (Michel Butor, comme toute vraie vedette, arrivera trop tard), ce « cliché » parfait d’un mouvement qui après une étude plus précise, vous verrez, se révèle bien incertain : pas de chef, pas de revue, pas de manifeste... Ce groupe donc, on le retrouve deux ans plus tard, dans l’appartement d’Alain Robbe-Grillet. Et, sous la pression de l’éditeur Jérôme Lindon, nos écrivains de la photo s’attellent à la rédaction incongrue « d’un dictionnaire du Nouveau Roman »... Une avant-garde littéraire qui mime l’activité la plus laborieuse de l’institutionnelle Académie Française...
Trois réunions donc, pour tenter de définir ce qu’est selon eux un personnage, une intrigue, un dialogue, un récit... Réunions qui n’aboutissent à rien, tant leurs dissensions sont grandes, leurs orgueils extraordinaires et leurs amitiés minimes. Des archives existent, planquées au fond d’une armoire des Éditions de Minuit.
Il faudra penser à aller les cambrioler, ça doit être une étape importante de notre travail. En plus, bien sûr, de réunir une anthologie critique suffisamment conséquente pour nous permettre un débat vivace et teigneux sur l’art du roman.
Pendant ce temps, le hors champs ne désarme pas. Duras arrive avec le texte du bientôt « manifeste des 121 », sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, pensé et rédigé par Dionys Mascolo et Maurice Blanchot. Tous les écrivains français de la photo vont le signer, sauf donc Beckett et Pinget. Sagan aussi le signera, et comme les Éditions de Minuit, son appartement sera plastiqué par l’OAS. La Guerre d’Algérie, c’est le contexte essentiel de l’oeuvre de tous ces écrivains. Le manifeste est publié le 6 septembre 1960. Nous choisirons cette date arbitraire pour dissoudre notre groupe du Nouveau Roman.
Christophe Honoré
« Passionné par son projet – la saga du nouveau roman en France, de 1959 (..) jusqu’à aujourd’hui (...) –, Christophe Honoré s’est laissé débordé par lui. (...) On le comprend un peu, tant la bande d’acteurs qu’il dirige à merveille a su s’approprier ses rôles et faire palpiter contre toute attente les corps et esprits d’Alain et Catherine Robbe-Grillet, Michel Butor, Claude Mauriac, Robert Pinget, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Claude Simon et j’en passe… (...). Sur l’immense scène, ces comédiens-là, joyeux et fous, parviennent sans jamais essayer de leur ressembler physiquement à incarner ces hommes et ces femmes de langue-là, taraudés par le désir d’une forme d’écriture neuve, refusant d’exprimer ce qui existerait déjà, cherchant à explorer ce qui n’est pas encore représenté, fuyant le vieux réalisme des grands auteurs du défunt XIXe (...). » Fabienne Pascaud, Télérama, 10 juillet 2012
« Car il n'y a nul besoin, pour les spectateurs, d'avoir des références. Rien que cela, c'est déjà une forme d'exploit, tant l'histoire est dense et complexe, sur les plans littéraire et humain. (...) on rit souvent et franchement, à voir et à entendre tous ces gens sur le plateau qui reproduit une salle d'université à la fois solennelle et kitsch (...) Quand on aime, on prend tout, et l'on se régale du jeu des acteurs (...). » Brigitte Salino, Le Monde, 13 juillet 2007
« A l’arrivée, ce spectacle (...) s’avère une aventure théâtrale d’une rare fraîcheur, drôle, intelligent et pétillant de vie. » Hugues Le Tanneur, Les Inrockuptibles, 16 juillet 2012
« Cette création assez gonflée qui revisite en couleurs un pan de notre culture est galvanisée par l’engagement subtil des comédiens, dirigés avec bonheur. » Hélène Kuttner, Pariscope, 20 août 2012
Le Nouveau Roman pour les nuls Cette collection de vulgarisation prétend mettre à la portée des "nuls" les sujets les plus divers. Elle le fait sur un mode enjoué et talentueux, comme la pièce de Christophe Honoré, qui ravit ses spectateurs et leur donne grande envie de lire ou relire les auteurs dont il s'amuse et nous amuse en nous instruisant... Pour en savoir plus : http://diacritiques.blogspot.fr/2012/12/le-nouveau-roman-pour-les-nuls.html
Le Nouveau Roman pour les nuls Cette collection de vulgarisation prétend mettre à la portée des "nuls" les sujets les plus divers. Elle le fait sur un mode enjoué et talentueux, comme la pièce de Christophe Honoré, qui ravit ses spectateurs et leur donne grande envie de lire ou relire les auteurs dont il s'amuse et nous amuse en nous instruisant... Pour en savoir plus : http://diacritiques.blogspot.fr/2012/12/le-nouveau-roman-pour-les-nuls.html
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Guy n°20010