Où est passé le pianiste ? En l’attendant, une chanteuse lyrique remonte le fil des histoires et de sa vie. Entre récit et récital, elle évoque ses parents et ses grands-parents émigrés juifs d’Europe de l’Est, son enfance à Pigalle dans les années 70, la mort de son père, la naissance de son fils... Il en va des souvenirs comme des poupées russes, chacun en contient un nouveau.
Que va-t-on encore découvrir ? Tel-Aviv et la Californie, des juifs antisémites et des rabbins orthodoxes, l’œuvre presque complète de Sigmund Freud, un pot-au-feu explosif et Monterverdi en version punk... Dans la tradition de l’humour juif, le spectacle réunit petites et grandes histoires, imbriquées les unes dans les autres par une parole alerte et incisive.
Ce projet est né alors que j’écrivais un texte qui devait servir d’introduction à l’Aria de Cage que l’on m’avait demandé de chanter à l’occasion de la Nuit de la Folie de la Péniche Opéra. J’avais choisi pour aborder l’œuvre d’y parler de mon rapport à la folie, et plus précisément de la folie dans ma famille. Alors que j’écrivais, il m’est apparu que le texte devenait plus important que l’œuvre elle-même. Je me suis alors demandé ce qu’il se produirait si je n’interprétais pas l’Aria. Si pour reprendre Peter Handke dans Outrage au public « Ce qui doit advenir ne se produira pas ». Il se produira alors autre chose : un autre type d’Aria.
C’est ainsi que j’ai construit une performance d’une vingtaine de minutes qui constitue le point de départ du présent travail. Parce qu’il n’y a pas de pianiste et que les pupitres sur lesquels elle tente de faire tenir ses partitions s’effondrent, l’interprète, seule en scène, va s’adresser au public. Elle va lui raconter des épisodes de sa vie, de celle de ses parents, et de ses grands-parents. Sans faire de psychologie et sans se départir d’un certain étonnement et d’un fatalisme légèrement ironique, elle va se promener de son enfance à Pigalle dans les années 70 aux shtetl de Pologne dans les années 30, de son grand-père juif antisémite à son grand-père rabbin orthodoxe, de sa mère et ses deux oncles psychanalystes, à son père vendeur de décorations de Noël et tankiste en Israël pendant la Guerre des Six jours...
S’il y a dans la nature de l’écriture une distance qui permet à l’auteure d’objectiver les événements intimes, la musique est, à l’inverse, un espace où les sensations et les émotions s’exposent pleinement. Elle intervient sous forme de souvenirs, de clins d’œil, de cris, ou de prières, à capella et à l’aide d’un dispositif qui comprend des capteurs, des bandes, et des accessoires sonorisés. Le répertoire musical fait appel à l’opéra, la chanson, la liturgie, au slam au punk et à la musique baroque.
La mise en scène de ce spectacle s’appuie sur la structure et le type d’écriture du texte. Ce texte est constitué de tableaux qui constituent la mosaïque de l’identité d’un individu au sein de l’Histoire. Cette écriture morcelée et non chronologique fonctionne par résonance. La question qui s’est posée a donc été celle de l’unité du spectacle : un espace où se retrouvent l’interprète et le public.
S’il n’y a pas de linéarité dans le texte, il fallait créer le parcours commun de l’interprète et du spectateur, sans pour autant chercher à gommer la spécificité de cette écriture fragmentaire. Cette spécificité porte en elle la notion d’accident indissociable du sens et de ce qui est dit. Une notion se retrouve dans la forme : c’est de l’impossibilité de la représentation prévue que naît la parole Il ne s’agit donc pas de recoller des morceaux qui ne seraient pas liés dans l’écriture mais plutôt de s’appuyer sur ce mouvement. Tout comme le texte, la mise en scène procède par accidents de plateau.
La situation présente fonctionne comme une piste indépendante de celle du récit. Cette situation est à l’image du récit : accidentée. Ces accidents se traduisent au plateau par un travail sur le détournement des formes et des médias : le piano d’où devrait jaillir le son est source de lumière, les pupitres où aucune partition ne peut tenir deviennent tour à tour personnages, paysages, et source sonore. C’est de la superposition de ces deux pistes autonomes et décalées, celle du plateau et celle du récit que naît alors une troisième piste : celle de la représentation.
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