Oona Doherty creuse son sillon en offrant quatre tableaux qui présentent différents aspects de la société dans laquelle elle vit. Tout l’art chorégraphique d’Oona Doherty consiste à puiser dans la réalité sociale et intime de ses compatriotes, comme dans ses stéréotypes de genre et de classe. En la transposant sur scène, avec une énergie, une intensité, et un sens de l’image rare, sur une bande sonore qui mêle bruits de la ville, conversations et musique, elle affirme la capacité de la danse à s’emparer du réel. Le son émane d’une collaboration avec David Holmes, compositeur de musiques de films (Steven Soderbergh) et producteur d’artistes (Primal Scream).
Dans le premier mouvement, elle déconstruit ainsi l’image du jeune homme défavorisé en mixant le Miserere et une gestuelle et des sons issus de la rue. Le second, Sugar Army, inspiré de l’école non-mixte dans laquelle elle est allée, interprété par un groupe de danseuses hip-hop, affirme la puissance des femmes. Le troisième Meat Kaleidoscope offre un duo de deux hommes corpulents, massifs, torse nus, qui, dans le clair-obscur oscille entre la lutte et l’étreinte, mesurant la confiance qu’ils peuvent accorder à l’autre et dévoilant la difficulté à se toucher. Le dernier enfin, Helium, voit Oona Doherty s’éveiller comme si elle renaissait, oscillant entre la peur et la curiosité, tentant de se mesurer au monde extérieur, à la merci de son propre corps.
Avec cette pièce, Oona Doherty confirme son goût pour une danse viscérale et expressive, qui explore les zones de fragilités et de maladresse. Elle incite à regarder autrement les figures qu’elle convoque, leur donnant tout à la fois une dimension poétique, spirituelle et politique.
« Observer Oona Doherty, en répétition, peaufiner encore et encore cet éclat de chair et de hargne, d’impuissance aussi, de deux hommes face à face donne une idée de son intensité. L’entendre raconter de quoi il retourne dans cette pièce virulente qui prend au collet la brutalité de l’histoire de son pays, aussi. » Rosita Boisseau, Le Monde, 7 juin 2018
Pour la deuxième année consécutive, le Théâtre de la Bastille s’associe à l’Atelier de Paris / Centre de développement chorégraphique national pour accueillir quatre chorégraphes qui explorent les rapports qu’entretiennent les corps avec les traditions et les territoires dans lesquels ils s’inscrivent. Avec Hard To Be Soft – A Belfast Prayer, Oona Doherty fait ainsi s’entrechoquer la spiritualité et la violence sociale de la capitale nord-irlandaise.
Quittant la ville pour la campagne, Simon Mayer tronçonne dans SunBengSitting les gestes traditionnels autrichiens et leur virilité folklorique. La tradition est aussi au coeur du travail de l’artiste israélienne Shira Eviatar qui interroge dans Body Roots et Rising l’influence de son héritage familial et culturel sur son corps et sa féminité. Avec Hymen hymne, Nina Santes réinvestit quant à elle l’héritage de la sorcière, figure ancestrale et révoltée.
Oona Doherty, nouvelle venue sur la scène de la danse, a frappé fort dès ses premières créations. Avec Hard To Be Soft - A Belfast Prayer, elle consacre une quadrilogie à la ville où elle a grandi. Les tableaux, très différents, puisent dans la réalité sociale et intime des Irlandais du Nord, convoquant aussi bien des fragments documentaires bruts – bruits de rues, cris, bagarres, dialogues de bar – qu’une gestuelle s’inspirant notamment du hip-hop mais aussi de la musique sacrée.
Très expressifs et puissants, ces tableaux mettent en lumière les stéréotypes de classe et de genre, et les font apparaître à la fois dans leur arrogance et leur fragilité. Oona Doherty livre ainsi une pièce politique, poétique, spirituelle qui, tout en explorant les zones de vulnérabilité, possède une force de vie, une intensité et un sens de l’image rares.
Emmanuelle Mougne
5 rue Édouard Poisson 93300 Aubervilliers
Voiture : par la Porte d'Aubervilliers ou de La Villette - puis direction Aubervilliers centre
Navette retour : le Théâtre de la Commune met à votre disposition une navette retour gratuite du mardi au samedi - dans la limite des places disponibles. Elle dessert les stations Porte de la Villette, Stalingrad, Gare de l'Est et Châtelet.