Présentation
Le tango, un espace théâtral
Écrire pour Pas à deux
Conception et mise en scène Camilla Saraceni, textes de Charlie Kassab et quelques citations de Lydie Salvayre
Huit danseurs et comédiens, dont la chanteuse Sandra Rumolino, accompagnés par le Cuarteto « Darsena sur », entraînent dans la danse les travers familiers des comportements humains. Peurs ordinaires, colères quotidiennes et forces du désespoir rythment les Pas à deux, guidés par Camilla Saraceni, pour qui le tango demeure « un acte de rébellion. » Originaire de Buenos Aires, fondatrice du théâtre de Léthé, Camilla Saraceni chorégraphie d'abord les défilés de haute-couture avant de s'atteler à la mise en scène des univers de Nathalie Sarraute ou d'Eduardo Manet. Fidèle à sa curiosité pour l'écriture contemporaine, elle convie dans Pas à deux les mots de Charlie Kassab et les citations de Lydie Salvayre, qui déclare : « Nous aimions le tango. Mais sans le formol et sans la nostalgie et sans la glu sentimentale. Vieux et neuf en même temps. Vert. Alors, d'un commun accord, nous décidâmes de tremper le tango dans le bruit de nos vies. »
Pendant que Pas à deux sera présenté salle Gémier, le festival Buenos Aires Tango se déroulera salle Jean Vilar du 9 au 27 mai 2001.
Le tango est accessible à tous, sans limite d'âge, de nationalité ou de métier. Il nous dévoile le rapport à l'autre comme un art. Ce pas de deux provocateur, me sert comme langage de corps pour parler avec ironie et tendresse du rapport entre les hommes et les femmes, du rapport à l'autre en tant que différent de moi. Le dialogue des partenaires dans le tango commence par l'écoute. La musique dessine l'espace de cette rencontre. Le duel amoureux commence. Un duel dont le code d'honneur est la figure. Un duel où l'équilibre doit se trouver à deux. Chaque pas dessine le sol comme un trait de crayon sur une feuille blanche, à chaque instant tout peut arriver. Cette précision et cette ouverture nous donnent le vertige. « ...Il y a une terreur dans cette danse, une peur de chuter à chaque instant, de ne pas tenir l'engagement de ce jeu de quelques minutes. Une peur de décevoir la confiance de l'autre qui se balance sans retenue, répondant à ma peau comme si c'était la sienne, sans autre réflexion que d'être là. Ne pas penser, danser ... ».
Le tango nous révèle aussi à quel point l'autre est effrayant et que derrière cette terreur, qui n'est que pudeur, se cache notre capacité d'amour. La volupté marque le pas. Le désir s'exprime par gifle et caresse, dans le tempérament de cette danse d'origine populaire. A la promesse que se font des corps en accord, j'oppose l'élément subversif de la parole.
Pour l'écriture je propose la séduction comme un lieu. Un exil où hommes et femmes extraits de l'ordinaire, déjouent rôles et rapports sociaux. Un jeu surtout, où par convention chacun se met en danger, s'habille de plus en plus de nudité. La présence du masculin et du féminin dans l'écriture est primordiale pour ce projet. Les écrivains, qui travaillent indépendamment, sans se connaître, mais à partir de la même proposition, nous ont confié une série de dialogues et de monologues. Ceux-ci ont la particularité de souligner l'absence de l'autre avec un humour noir proche du surréalisme.
Le bal de tango, qui sera l'espace du spectacle (le théâtre sera transformé en salle de bal), est espace de danse, de musique, de chant et de parole. Distendu, abstrait ou non, il s'agit de créer un tissu flexible qui peut prendre la forme d'un bal aussi bien qu'un lieu ou un temps intérieur. Créant ainsi, dans cette intimité aux portes ouvertes, un réseau de résonances entre différentes histoires humaines. Le tango véhicule une intrigue intime dans un sens plus large, étant détonateur d'une énergie contagieuse. Masculin, féminin en face à face, interchangent leurs rôles pour mieux les définir et mieux les déconstruire.
C'est une invitation au bal.
Camilla Saraceni
Nous aimions le tango. Mais nous avions en horreur son goût du pathétique et des pleurnicheries. Nous aimions le tango. Mais nous étions lassés que tant d'hommes éplorés idéalisent dans les larmes leur amante parfaite disparue à jamais.
Nous aimions le tango. Mais nous voulions que les amants y soient vivants. Nous voulions qu'ils se cherchent et se perdent sans devoir en mourir. Nous les voulions complices. Nous les voulions en guerre. Nous les voulions rompus. Nous les voulions rieurs, rageurs, querelleurs, ironiques, cruels ou joyeux. L'insulte aux lèvres ou caressants. Prêts à tanguer à deux ou à dix. Prêts au vertige.
Nous aimions le tango. Mais nous voulions qu'il dise sans effroi le désir, la colère, la soif ou le banal quotidien plutôt que l'abandon, le malheur et la mort qui s'ensuit. Nous aimions le tango. Mais sans le formol et sans la nostalgie et sans la glu sentimentale. Vieux et neuf en même temps. Vert.
Alors, d'un commun accord, nous décidâmes de tremper le tango dans le bruit de nos vies.
Lydie Salvayre
Ecrire pour le mouvement de huit personnes a quelque chose à voir avec l'organisation d'une fête, en particulier quand la formulation de la commande offre un espace volontairement vierge d'accroche fictionnelle. La fête, pas pour la salle de danse, mais pour la disposition à la rencontre, à l'échange, et ici pour un autre dialogue, celui du tango.(...)
Mettre en évidence le comportement humain, aujourd'hui, où le jeu de la séduction n'existe plus, avec comme conséquence de toutes les peurs modernes, la solitude. La pratique du tango permet à ses adeptes de transgresser cette solitude et de retrouver des sensations qui peuvent paraître désuètes à certains contemporains, mais sources d'émotion pour d'autres. La pratique quotidienne du tango permet d'opposer des rapports de pouvoir différents, d'opposer à une société austère l'intensité de ce temps en dehors qu'est celui de cette danse. La demande de cette écriture repose sur le désir de mettre en évidence l'opposition entre l'inhibé et le désinhibé, et entre le corps et le social.
Suivre son propre cheminement est l'idée directrice pour l'écriture de cette non-commande. Installer le rapport humain qui sera forcément détourné par le travail des comédiens, pour que le face à face du tango vienne poser sa mine au point élémentaire du sentiment.
Il est évident que l'écriture du texte est un des éléments de l'ensemble, une des voix du dialogue, mais aussi une voix à part entière. Les sujets ? De quoi vont parler ces personnages? Directement d'eux-mêmes, et de tout autre chose, d'un paysage, de la mer, d'un courant d'air, mais aussi de détails anatomiques, de préférences, de points de vue, aussi bien architecturaux que de l'esprit. Tout sera propice à rapprochement, avec comme impératif une liberté d'esprit, comme une décontraction laissant courir les idées, les associant parfois dans le seul but que celles de l'autre s'accrochent à leur train. Un jeu sérieux, comme le mot sérieux, comme celui qui l'est trop et qui prête à rire, un catalogue, peut-être, pas tout à fait (...).
Charlie Kassab
1, Place du Trocadéro 75016 Paris