Un voyage dans la connaissance et l’ignorance
La matière autobiographique
En janvier 1979, Arnaud Churin a huit ans. Il voit à la télévision l’émission-jeu Des chiffres et des lettres. Deux candidats s’affrontent, madame Louson et monsieur Jouaux. Ce dernier est aveugle, il ne prend aucune note, se rappelant par cœur chiffres et lettres. Il sera un des champions du jeu.
Vingt-quatre ans plus tard, Arnaud Churin réinvente cette rencontre surprenante. Sachant que la scène du théâtre est le lieu possible de tous les imaginaires, il imagine une belle histoire d’amour entre les deux protagonistes, d’où surgit un univers magique dans lequel seront inclus les présentateurs du jeu. Ils vont deviser dans une sorte de joute oratoire dont la trame est constituée du “vrai” dialogue de Boris Cyrulnik et d’Edgar Morin intitulé Dialogue sur la nature humaine et enregistré par France-Culture.
Nos héros nous entraînent alors dans un voyage dans la “Noosphère”, la sphère du produit de nos pensées qui entoure l’humanité au même titre que l’atmosphère. Un voyage dans la connaissance et l’ignorance, dans l’unique et le différent, dans les méandres de l’amour… “N’est-ce pas, mon cher Max ?”
Neurologue, psychiatre et psychanalyste, Boris Cyrulnik a fait de la résilience son principal axe de recherche. Il est l’un des fondateurs de l’éthologie humaine.
Philosophe, anthropo-sociologue, Edgar Morin est directeur de recherches émérite au C.N.R.S. Son œuvre multiple est commandée par le souci d’une connaissance ni mutilée ni cloisonnée, apte à saisir la complexité du réel, en respectant le singulier tout en l’insérant dans son ensemble. Dialogue sur la nature humaine est publié aux éditions de l’Aube.
Tout est perdu.
Des milliers d’heures de télévision perdues… On regarde et puis c’est fini, le programme n’existe plus que dans notre mémoire, dans la mémoire collective.
La fable que je propose fait revivre l’émission « Les chiffres et les lettres » de la fin janvier 1979… Ce soir-là s’affrontent les deux protagonistes du spectacle : M. Jouaux et Mme Louzon. M. Jouaux est aveugle. Il ne prend aucune note et se rappelle de tout par cœur. C’est la première émission à laquelle il participe. Il va devenir un grand champion de ce jeu et même accéder à la grande finale de Monte-Carlo. C’est mon cousin par alliance, j’ai huit ans depuis quelques jours.
Cette forte émotion que je ressentais enfant en regardant ce jeu m’indiquait que puisqu’une personne handicapée pouvait sublimer sa différence de cette sorte, c’est que tout était possible. Un autre monde allait naître, celui auquel rêvaient mes parents peut-être, un monde où Mitterrand allait gagner les élections et où les injustices allaient disparaître ; chacun donnerait le meilleur de lui-même pour jouer ou pour construire une utopie, c’était un tout.
Lors de la pause, M. Jouaux reste seul, démuni qu’il est sur ce plateau où les “voyants” l’ont oublié. Mme Louzon revient ; M. Jouaux sent sa présence et s’adresse à elle. Un dialogue s’entame entre nos deux candidats.
Ce dialogue a eu lieu “pour de vrai” entre deux vraies personnes ; c’est aussi le service public qui a donné lieu à cet échange : France-Culture. Lors de cette émission de radio, Edgar Morin, sociologue, et Boris Cyrulnik, éthologue, ont échangé autour de l’homme. Le titre en était Dialogue sur la nature humaine. Les deux penseurs parlent de l’objet de science “homme”, proposent pour l’étudier de décloisonner les différentes connaissances de l’homme afin de définir ce que l’homme se doit à lui-même, ce qu’il devrait changer pour renaître à lui-même et pour vivre avec cet autre lui-même qui lui fait face. Cette nature humaine qui est faite de culture et de biologie, de connaissance et d’ignorance, il va devoir se l’approprier, l’homme, pour relever ce défi magnifique d’être unique et semblable dans une unité vivante de l’univers, univers à qui il appartient mais qui ne lui appartient pas.
Mme Louzon et M. Jouaux, comme s’il s’agissait d’un contrat qui allait les unir, proposent de faire de leur vie intime et probablement amoureuse le théâtre de leurs idées. Ils vont voyager dans un univers qu’on dirait comme créé par leurs pensées. L’histoire éternelle de l’amour et de la rencontre sera sublimée par ce couple brillantissime qui ne discute pas seulement le partage des factures, mais devise sur l’incapacité d’un être humain à accomplir son destin génétique s’il est trop maltraité par la vie.
Dans ce monde du possible, dans cet univers mental, apparaissent des présences magiques. Les serviteurs du jeu, les présentateurs, sont transformés en champions de la pensée complexe. Ils vont livrer aux spectateurs l’intérieur, le cœur même de la pensée de nos deux protagonistes, des textes issus de livres d’Edgar Morin et de Boris Cyrulnik. Comme un écho dense, un nuage d’idée qui est le point de départ de la pensée de chacun et en même temps la résultante de cette pensée. Ce nuage d’idée qui se révèle grâce aux héros de cette fable est nommé par Edgar Morin au cours du dialogue : la noosphère.
Sphère du produit de nos pensées, elle entoure l’humanité, comme l’atmosphère. Rendue visible par Bénédicte, Max, Bertrand et Patrice, cette noosphère serait le nom que l’on pourrait donner à ce pays imaginaire où voyagent les personnages de mon histoire. C’est peut-être cette sphère qui explique que les artistes créateurs ne manquent jamais de matière, parce que “quelque chose est dans l’air du temps”.
Bien sûr, à la fin le jeu reprend…
Cette fable raconte l’histoire de deux personnes qui dans un lieu a priori impropre, vont se mettre à dialoguer dans la qualité de leur offrande et ainsi entraîner derrière eux une spirale de pensée.
C’est le but de cette aventure, rendre grâce aux personnes qui passent à la télévision et que nous considérons comme sous-personnes, dire une fois pour toute que sans le divertissement, la chanson de variété, la vie serait vraiment moins rigolote. Dans le même temps tenter de rendre vivante cette pensée complexe, intellectuelle dans le sens couramment admis. L’attention très particulière que portent Boris Cyrulnik et Edgar Morin au fait d’être entendu, de pouvoir faire penser autant que de penser eux même n’est autre chose que le moteur qui me fait agir.
Arnaud Churin
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