« J’ai écrit une première version de de mes propres mains en 1992 pour Eric Doye avant qu’il ne rentre à la Comédie Française et qu’il nous quitte quelques années plus tard. J’ai écrit une deuxième version en 1993 pour Hugues Quester, mais c’est finalement Charles Berling qui l’a créée au théâtre des Amandiers à Nanterre. On s’était dit avec Charles que l’on reprendrait ce texte sur le suicide, tous les dix ans.
C’est le moment. Je m’étais aussi dit à l’époque que quand bien même ce texte était écrit pour un homme, sans savoir très bien pourquoi, je le voyais toujours en fait interprète par une fille ou une femme. Les tourments à l’intérieur de ce corps passaient de loin les frontières du genre sexuel. Quelque chose criait sans doute plus fort : « tu parles ici de la condition humaine, c’est tout ».
Je le reprends donc aujourd’hui avec Kate Moran, membre de la compagnie depuis sept ans, et présente dans toutes nos créations. Je reprends ce texte - sans doute modifié, re-écrit peut-être – dans une version “solo“ c’est-à-dire, à la fois parlé et dansé.
Kate Moran, entre homme et femme, d’un genre double mélangé ou le corps et la parole ne cherchent qu’à se rassembler vers quelque chose d’androgyne et d’impur, comme le théâtre et la danse vivifiant ce seul et même corps avant de disparaître. »
Pascal Rambert, Novembre 2005
Pourquoi recréer aujourd’hui, de mes propres mains, plus de dix ans après ta première création ?
Quand j’ai créé de mes propres mains, en 1993 avec Charles Berling, j’avais déjà dans l’idée de remonter cette pièce tous les dix ans.
Pourquoi travailler cette fois avec Kate Moran, alors que le personnage est masculin dans ton texte ?
Même s’il est vrai que de mes propres mains est écrit pour un homme, j’ai toujours souhaité qu’il soit pour une femme. Tout d’abord parce que le sentiment de mélancolie ou de rapports difficiles aux relations humaines, est aussi bien partagé par les hommes que les femmes. Et puis, j’ai écrit ce texte pour qu’il soit aussi bien joué par des hommes que des femmes, des jeunes ou des vieux.
Est-ce-que le fait que tu aies choisi une femme change ta mise en scène ?
de mes propres mains plonge les spectateurs dans quelque chose de profond, dans les abymes de la psyché humaine. Lors de la première création avec Charles Berling, le spectacle était : une voix dans le noir, uniquement basé sur la réception du texte.
Pour cette nouvelle version, c’est la même chose, avec cette fois la voix d’une femme. Mais contrairement à la précédente création, je souhaite développer un travail important sur le mouvement et sur le corps. Je veux montrer les mouvements intérieurs de l’âme qui s’installent dans un corps dansant. C’est donc un solo qui mélange le texte et le travail du corps.
Peux-tu parler du spectacle ?
La lumière monte petit à petit, on entend une voix féminine, mais petit à petit c’est un homme qui apparaît. Des LED (Light Emitting Diode) éclairent par fragments le corps de la danseuse, et laissent apparaître au fur et à mesure un corps masculin et féminin.
Le trouble se crée dans le fait que c’est une femme qui joue un homme. Je veux mettre la parole d’un homme dans le corps d’une femme, et faire ressortir par ce biais la sensibilité féminine. La forme est très plastique, comme un peep show. Les spectateurs sont au niveau de la danseuse surélevée sur une estrade. Ils ont le nez sur son corps.
Le dispositif scénique permet une grande proximité, les spectateurs voient les replis du corps et de l’âme, les vagues de la conscience qui se forment sur la peau nue de la danseuse.
Quand on lit de mes propres mains, il n’y a aucune ponctuation, ce qui permet au lecteur de faire sa propre construction et ainsi de créer sa propre compréhension du texte. Au fil de la lecture, le rythme devient de ce fait de plus en plus rapide. Comment cela se manifeste sur le plateau ?
La façon dont est écrit de mes propres mains, fait qu’on peut en effet créer sa propre compréhension, et son propre système grammatical. Le spectateur n’a pas d’orientation, il y a plusieurs sens possibles et chacun peut ainsi construire sa propre histoire. C’est d’ailleurs une des difficultés pour la traduction de ce texte qui sera aussi joué en version anglaise.
Avec Charles Berling, le rythme était rapide, tout allait très vite. Le texte sortait comme une mitraillette, comme pour ne pas avoir le temps de s’arrêter de penser, comme un excès d’appétit de la vie, une vraie fringale.
Autre chose ?
Recréer de mes propres mains est aussi une façon pour moi de mettre en tension ce spectacle avec Le Début de l’A. Il me paraît intéressant de faire cet aller-retour entre la naissance d’un amour dans Le Début de l’A. et sa fin dans de mes propres mains. Et toujours en Paris et New-York. Tout devient cohérant.
Propos de Pascal Rambert recueillis en février 2006
12, rue Léchevin 75011 Paris