« C’était pas évident de lui dire, au Padre, que j’avais choisi le théâtre.
Je dirais même impossible, voire infaisable. Ben oui, allez dire à quelqu’un qui a travaillé la terre pendant trente ans et puis le ciment pendant quarante ans que vous trouvez du plaisir à vociférer du Molière.
Et pourtant, le Padre, je l’aimais, lui et sa grosse fatigue. Mamma avait été plus choquée, plus immédiatement terrorisée et le mot est faible. C’est vrai, elle avait l’art et la manière de recréer toute seule la catastrophe de Pompéi, même pour une mouche qui serait venue se poser sur une vitre toute propre.
Mais fallait bien que j’en choisisse un de métier, vu que les études m’avaient laissé tombé. Alors, je suis devenu comédien. Mais je ne savais pas qu’il fallait avoir lu tout Shakespeare, Molière, Musset, Goldoni, Marivaux et tous les autres vu qu’à la maison les seuls livres qu’on possédait étaient l’annuaire du téléphone et la Bible. Donc j’ai lu.
Le Padre, plus il me voyait lire, pus il désespérait vu que je ne construisais pas mon avenir. Il ne savait pas que ça faisait partie de ma construction, ça. La Mamma priait.
Et puis, j’ai été reçu au concours. Alors là, ça a un peu changé, mais pas beaucoup, vu que ce n’était toujours pas un métier pour eux.
Et puis un jour, mon Padre est venu me voir au spectacle avec son beau costume du dimanche et la Mamma avec sa belle robe du mariage.
Lui était ému, elle était très calme et moi j’ai pleuré.
Demain, je ne sais pas ce que je ferai mais j’irai en répétition. »
Bruno Ricci
3, rue des Déchargeurs 75001 Paris