Perdu le Nord

du 13 au 23 juin 2007
1 heure

Perdu le Nord

La pièce, écrite pour tous publics, aborde deux sujets particulièrement prégnants, le réchauffement climatique et l'immigration. Un jeune homme français veut immigrer en Afrique, pour connaître un meilleur destin. Fuir la France, le froid, la faim. Mais l'Afrique peut-elle accueillir toute la misère du monde ? Un point de vue original et qui donne à réfléchir sur la situation actuelle…

Pour tout public.

La fable
Note d'intention
Extrait

  • La fable

Le réchauffement planétaire a provoqué la fonte de la calotte glaciaire arctique et l’augmentation, par dilatation, du volume des océans. Cela a entraîné deux bouleversements majeurs : l’anéantissement du courant Gulf Stream, qui a provoqué une importante chute des températures moyennes en Europe occidentale et la montée du niveau de la mer, qui a profondément modifié le littoral en engloutissant des zones à forte densité de population.

Les perturbations ont été radicales. L’économie des pays européens, qui n’ont pas su s’adapter, s'est effondrée. La France est ainsi devenue à l'image d'un pays du tiersmonde. Pendant ce temps, l'Afrique est parvenue à tirer son épingle du jeu, en se développant selon ses propres critères.

Un jeune homme français - qui ne connaît pas le verbe être - veut immigrer en Afrique, pour connaître un meilleur destin. Fuir la France, le froid, la faim. Mais l'Afrique peutelle accueillir toute la misère du monde ? Son rêve vire au cauchemar, dans lequel un Africain demande au jeune Français clandestin :
Pourquoi devoir assumer les erreurs
De ceux dont nous subîmes hier le Joug ?
Pourquoi faut-il que nous soyons meilleurs
Que vous ne le fûtes jadis envers nous ?

Enfin, le jeune Français rencontre un Africain, bien réel cette fois-ci, qui lui apprend à conjuguer le verbe être et l'invite à reconstruire son monde sur de nouvelles bases.

Musique originale de Laurent Sellier. Vidéaste : Olivier Mitterrand. À l'écran, l'Africain : Jean-Claude Guiraud.

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  • Note d'intention

Quand j'étais enfant, mon père me disait : "Ce que tu ne peux pas comprendre à dix ans, tu ne le comprendras jamais". À dix ans, je ne comprenais ni les fondements de la métaphysique kantienne, ni les bases de la physique quantique. Le fait que je ne les comprenne toujours pas tend à prouver que Papa, même s'il exagère souvent, avait raison… Oui, toute plaisanterie à part, je crois en effet que les enfants sont à même de comprendre, très tôt, les grands principes. Ils savent discerner ce qui est juste de ce qui ne l'est pas.

Le sujet de cette pièce, ainsi que tous les thèmes qui y sont abordés, peuvent paraître difficiles pour un enfant. Mais, ce n'est pourtant pas en babillant devant les bébés qu'on leur permet d'acquérir le langage. Alors, oui, c'est vrai, il est question ici d'apprendre. Le théâtre parfois s'en défend ou s'en excuse. N'est-ce pas pourtant, depuis toujours, un de ses buts essentiels ? Dans la Poétique, Aristote explique que le théâtre a deux causes naturelles : le plaisir d'imiter et le plaisir d'apprendre. Il écrit : "On se plaît en effet à regarder les images car leur contemplation apporte un enseignement et permet de se rendre compte de ce qu'est chaque chose."

Les enfants ne vivent pas dans un autre monde que les adultes. Le leur n'est pas nécessairement peuplé de fées, de sorcières, de princes et de princesses. Non seulement ils ne vivent pas dans un autre monde, mais ils sont souvent les premières victimes du monde, qui leur est imposé. La guerre, la faim, la misère, l'injustice frappent de plein fouet l'innocence. Pas besoin d'aller très loin d'ici pour le constater. La Belgique vient d'être condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour avoir enfermé dans un centre de rétention pour immigrés clandestins, durant deux mois et sans aucun parent, une petite fille Congolaise âgée de cinq ans. Un autre exemple, moins médiatique : les autorités françaises interdisent à une petite fille Burkinabée, âgée de dix ans, de rejoindre sa Maman, qui vit légalement en France depuis qu'elle a épousé un Français. Cette fillette, qui est en outre handicapée et nécessite des soins quotidiens, n'a pas le droit de vivre auprès de sa mère - pas avant au moins deux ans de procédures administratives. C'est à cette enfant, Yasmina, dont la France bafoue les droits les plus élémentaires, que je dédie cette pièce.

Si les thèmes abordés sont complexes, les situations dramatiques sont limpides. Le principe de cette pièce est extrêmement simple : il s'agit de se mettre à la place de l'autre, pour mieux le comprendre- ou du moins essayer. Penser ainsi pouvoir se mettre à la place de l'autre est certes toujours illusoire. Mais n'est-ce pas une des spécificités du théâtre que de manier l'illusion ? En outre, il n'est pas question de parler à la place des Africains contemporains - ils le font eux-mêmes, magistralement, comme avec le film Bamako - mais de placer un jeune homme Français dans une situation similaire à celle, actuelle, d'un Africain. Comme l'écrit Jean-Paul Rocchi dans la préface de L'Objet Identité : "Ce qui est en jeu ici n'est pas d'être effectivement à la place, posture intenable et faussement réflexive confinant à la ventriloquie et au colonialisme intellectuel, mais d'envisager de pouvoir l'être."

La mise en scène se veut discrète. Pas de décor, sinon la musique de Laurent Sellier. Un peu de vidéo, pour renforcer l'irréalité du cauchemar. Mais pas d'effet spectaculaire. Une grande sobriété. Une évidence. La mise en scène repose essentiellement sur la présence des acteurs, à qui je demande de jouer, ensemble, le plus simplement du monde. Ce qui m'importe n'est pas la virtuosité des comédiens, mais que chacun d'entre eux emplisse son personnage, cette coquille de noix, de sa propre humanité. Je rumine cette maxime de Nietszche : "La maturité de l'homme, c'est d'avoir retrouvé le sérieux qu'il avait au jeu quand il était enfant."

Yoann Lavabre

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  • Extrait

Lui et L'Autre évoque le passé, qu'ils n'ont pas connus :
L’Autre : C’est là que je suis né. Mes parents se sont connus ici. Ils étaient encore gamins quand leurs parents se sont installés dans le camp de réfugiés. Mon père devait avoir quatre ou cinq ans. Ma mère guère plus. Avant, il était en Bretagne. Elle aussi, peut-être, je ne sais plus. À l’époque, la Bretagne n’était pas encore une île. Mes ancêtres paternels habitaient une petite ville sur la côte. Mon grand-père y était ouvrier. Il travaillait sur le projet d’édification de la façade nord-ouest de la
grande digue.
Lui : La grande digue ?
L’Autre : Oui.
Lui : Jamais entendu parlé.
L’Autre : C’était un grand projet. Une ineptie.
Lui : Une quoi ?
L'Autre : Une ineptie ?
Lui : Ça veut dire quoi ?
L'Autre : Une connerie !
Lui : Ah !
L'Autre : Enfin, une bêtise, quoi ! La digue, c'était dingue...
Lui : Raconte.
L'Autre : À cause du réchauffement climatique, le niveau de la mer est monté. De plus en plus haut. Ça devenait dangereux pour les populations des côtes. Alors, les autorités ont eu une idée. Imagine un peu : construire une grande digue pour protéger la population de la montée des océans. Quand on y repense… Prétendre maîtriser ainsi la colère de la nature, c'était tellement prétentieux. À ce qu’il paraît, ça a quand même tenu un temps. Quelques années de répit. Heureusement, ma famille a déguerpi avant que la digue ne cède sous la poussée grandissante des flots. Malgré les bla-blas des ingénieurs, mon grand-père était inquiet. (...) Il avait compris avant qu’il ne soit trop tard que la digue allait lâcher. Quelques mois après son départ, la digue a effectivement cédé sous la pression de l’eau. Il a suffi d’une seule petite faille. La ville a été engloutie en quelques minutes. Les plaines ont été subitement immergées. La population n’a pas eu le temps de fuir. Beaucoup de gens ont péri noyés. Après la catastrophe, les habitants de tout le reste du littoral ont paniqué. Les autorités ont eu beau dire qu’une erreur de calcul avait été commise, que la grande digue serait consolidée, plus personne ne les croyait. Les côtes bétonnées ont été désertées. Dans les hauteurs, les camps provisoires se sont multipliés. Les réfugiés s’y sont accumulés. Et nous y voilà encore.
Lui : Pour l’instant.
L’Autre : Pour toujours.
Lui : Non.
L’Autre : Quoi ?
Lui : Plus pour longtemps !
L’Autre : Si seulement…
Lui : Moi, je vais partir. ( L’Autre rit.) Rigole pas. Dès années que j’en rêve.
L’Autre : Ah oui, tu vas partir, simplement, comme ça ?
Lui : J’ai tout organisé, (il pointe son front avec l’index) là-dedans.
L’Autre : Et où compte-tu aller ?
Lui : Loin d’ici. Fuir ces terres glaciales et stériles.

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Spectacle terminé depuis le samedi 23 juin 2007

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