Partitions en langues maternelles
Note d'intention
« Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition rêvé le miracle d’une prose poétique musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cette idée obsédante. » Charles Baudelaire, in Petits poèmes en prose
Prétexte et révélateur, l'Afrique centrale et australe (la création de Peut-Etre commence à Maputo au Mozambique), inspire les dernières réalisations de Jean-Paul Delore dans le cadre de son projet Carnets Sud/Nord. Après Affaires Etrangères (dans un aéroport, des noirs observent des blancs qui observent des noirs qui regardent des blancs qui…qui…qui…) et Un Grand Silence Prochain (dans un atelier d'artiste, un plasticien noir et son modèle blanc colorié), cette Afrique reprenant sa force souterraine sera dans Peut-Etre au service d'un univers imaginaire exclusivement peuplé de femmes.
Partitions en langues maternelles pour sorcières et fantômes en libre circulation dans l'hyper quotidien, voici quelques portraits de comédiennes-chanteuses, rencontrées des deux côtés du fleuve Congo à Kinshasa et Brazzaville, à Lyon et Paris puis à Maputo…
Jean-Paul Delore
Texte : Bill Kouelany et Jean-Paul Delore
Musiques : Guy Villerd, Chico Antonio, Yoko Higashi
Orphelins, enfants gâtés, fantômes et sous entendus, Peut-Etre ne parlera ni des femmes ni de l’Afrique Australe. L’écriture est indiscutablement attachée à la personnalité des interprètes féminins de cet objet sonore et visuel. Il y a un point commun à chacune (un) d’entre elles (eux), quelque chose qui s’observe sur leur visage, s’accroche aux silhouettes et démarches, résonne dans leur silence, flux de paroles et choix des mots. Je ne trouve pas ce mot dans ma langue. Appelons ce quelque chose : passage du temps. La distribution de Peut-Etre est faite de ces femmes et ces quelques hommes qui ne peuvent laisser indifférents. Elles attirent-inquiètent car les codes de l’âge et du temps ne les ont pas touchées comme pour nous même.
Sur scène, et même dans « la vie civile » vous aurez parfois du mal à donner un âge réel à la plupart d’entre elles. Vous saurez qu’en elles, quelque chose s’est passé. Peut-Etre laissera des traces de ce « en elles » mais sans dire vraiment ce que c’est.
Donc Peut-Etre. Je n’aime ni les corps, ni les voix, ni les mots, ni les musiques lisses. J’aime les plis et les enfants compliqués. J’aime l’immobilité, l’agitation, la maladresse, le ridicule. De part et d’autres du désert, avoir grandi dans un ghetto, une zone pavillonnaire ou en plein centre d’une mégalopole, parler cinq ou six langues, être analphabète, ou s’enfermer des mois durant pour lire ou écrire le récit de sa propre vie, vivre à quarante ans passés chez sa mère ou s’être enfui à six ans de chez soi, exilé volontaire ou assigné à résidence, Peut-Etre : autant d’excès, autant de catastrophes. Les catastrophes m’intéressent mais je n’ai pas les mots qui les décrivent. La musique ou le silence Peut-Etre peuvent faire ce chemin là. Je peux Peut-Etre parler d’avant ou d’après la tempête.
Il faut donc des mots-musiques ou qui servent d’introduction au silence. Donc opéra parlé, chanté. Livret. Construction. Parfois, lente série de mots recouvrant sourde et hystérique nappe de sons comme dance music. Comme comptine enfantine mixée avec chants funèbres ; ou comme couche de mots, à l’unisson dits et redits par choeur féminin, mais plus rusée que prière, plus douce que slogan. Ou encore comme phrases répétées sans fin mais déposant à chaque cycle un mot sur le bord : un verbe, un nom, pour le désir et l’ennui et la tristesse. Peut-Etre peu d’adjectifs. Ou alors adjectifs fantômes non totalement prononcés amputés d’une syllabe que l’on retrouvera plus tard isolée au milieu d’autres séquences (on pense « désarmant » mais l’on chante « désar »). Donc, parfois Peut-Etre autre langue même dans sa propre langue. A force on comprendra.Pas facile la communication.
Et puis Maputo, regardez la carte s’il vous plaît, capitale tombée en bas de son propre pays ; pleine de malentendus assagis (c’est à dire non dissipés), qui incite à brouiller les pistes, à mettre en boucles sa beauté, ses combats, ses doutes et sa violence retenue, à force d’être africaine entre Lisbonne et Johannesburg, Rio et Delhi. Donc écrire ici Peut-Etre pour un blanc français c’est mille incertitudes de plus, one thousand confusoes nécessaires.
Alors Peut-Etre : opéra parlé, chanté, interprété par des femmes venues des deux Congo, de France, du Japon et du Mozambique. Chacune son histoire, là n’est pas le problème. Dans Peut-Etre, devenues personnages, ces héroïnes revenues de l’enfance, interrogent leur ombre et leur destin. Elles mettent en boucles électroniques acoustiques ou vocales l’effroi et les langueurs du quotidien, leur quête d’absolu, leurs plaintes et leurs révoltes.
Jean-Paul Delore, Maputo, Décembre 2006
211, avenue Jean Jaurès 75019 Paris