Rencontre avec l'équipe artistique le jeudi 28 novembre à l'issue de la représentation.
Un biopic
Du roman au théâtre
Entretien avec J. Echenoz et P. Barrot
La musique de scène
La presse en parle
Ravel retrace les dix dernières années de la vie du compositeur français (1875-1937). Avec une grande liberté, Jean Echenoz compose et improvise autour du quotidien d'un homme au parcours glorieux et tragique… entre dandysme et ennui, élégance et pudeur, célébrité et solitude.
Anne-Marie Lazarini a choisi de faire entendre cette écriture, mais aussi une musique : celle qu'écrira, en écho à l'œuvre de Ravel, l'un des compositeurs les plus en vue d'aujourd'hui, Andy Emler. Une rencontre théâtrale à la croisée du roman contemporain et de la composition musicale !
Musique originale de Andy Emler.
Prix du syndicat de la critique 2013 : Meilleur spectacle présenté dans un théâtre privé (Prix Laurent Terzieff) et Meilleur compositeur de musique de scène.
« Ravel fut grand comme un jockey, donc comme Faulkner. Son corps était si léger qu'en 1914, désireux de s'engager, il tenta de persuader les autorités militaires qu'un pareil poids serait justement idéal pour l'aviation. Cette incorporation lui fut refusée, d'ailleurs on l'exempta de toute obligation mais, comme il insistait, on l'affecta sans rire à la conduite des poids lourds. C'est ainsi qu'on put voir un jour, descendant les Champs-Elysées, un énorme camion militaire contenant une petite forme en capote bleue trop grande agrippée tant bien que mal à un volant trop gros. »
Jean Echenoz
J’ai lu Ravel quelques jours après sa publication et je crois que le projet d’aujourd’hui s’est dessiné dès que j’en ai eu parcouru les premières pages… quelques saisons plus tard, après avoir partagé mes sentiments de lectrice avec mes compagnons de route, imaginé avec eux une forme de représentation possible, le travail avance, ponctué de rencontres avec Jean Echenoz...
À présent que nos aventures en terre d’opéra ont commencé, nous souhaitons que notre programmation puisse continuer à cheminer entre des répertoires littéraires et musicaux, proches ou plus lointains et, à cette croisée des chemins, faire le projet de mettre en scène Ravel prend tout son sens.
C’est d’abord vouloir partager le bonheur que nous a procuré sa lecture et faire entendre cette écriture, si singulière, ciselée par l’ironie et la tendresse du regard que Jean Echenoz pose sur le monde. C’est dans cet univers que nous souhaitons installer le spectateur, un univers romanesque où les entrées et sorties propres au théâtre n’ont pas cours, où l’espace devient une composition mentale, presque picturale, évocation épurée des lieux du roman entre lesquels l’écriture va se dérouler...
Au fil du temps s’est dessinée une forme dramatique à laquelle prendront part trois comédiens : Michel Ouimet interprétera Ravel ; autour de lui, un narrateur, Marc Schapira, et une narratrice, Coco Felgeirolles, qui, de toute la finesse de leur interprétation, donneront voix à cette écriture qui joue d’un constant va-et-vient entre personnages et récitants.
Trois comédiens et… un pianiste car il y a aussi la musique qui est au cœur du texte et que nous souhaitons présente et vivante. Celle de Ravel, bien sûr, mais pas seulement : pour la musique de scène, un compositeur d’aujourd’hui, Andy Emler, imprégné de cet univers musical et littéraire, a créé une partition nouvelle. Car, si Jean Echenoz est un grand amateur de jazz, Ravel y prêtait une oreille très attentive et les jazzmen d’aujourd’hui la lui rendent bien !
Anne-Marie Lazarini
Pourquoi Ravel ?
Il y a eu un faisceau de raisons de m’intéresser à lui. D’abord c’est une œuvre que je crois assez bien connaître, que j’ai pu entendre dès mon enfance et qui a aussitôt fait partie des musiques qui allaient rester importantes, comme Stravinsky. Elle est restée très présente toute ma vie, j’y suis très attaché et je l’ai beaucoup écoutée. Il y avait donc au départ ce lien avec l’œuvre. Puis il se trouve que j’ai eu plusieurs projets successifs, ces dernières années, dont l’un se situait dans les années 30. J’avais envie de faire apparaître des personnages de fiction en même temps que des personnages réels de cette période qui joueraient, si l’on peut dire, leur propre rôle, et je pensais à Ravel dont la figure m’intéressait, sans bien alors la connaître. J’ai commencé à me renseigner sur sa vie, mais j’ai abandonné ce projet. Puis j’avais une autre idée sur sa rencontre éventuelle avec le poète et romancier Valery Larbaud, il y a pas mal de raisons de penser qu’ils ont pu au moins se croiser. J’ai lu tout ce que je pouvais trouver là-dessus, sans aboutir sur ce point, et finalement c’est Ravel qui a pris toute la place.
Comment s’est organisé votre projet romanesque ?
Il y a eu plusieurs projets. Je voulais d’abord traiter seulement la tournée américaine de 1928, mais ça ne me convenait pas. J’ai ensuite pensé à travailler sur toute sa vie, mais je ne voulais pas aboutir à une espèce d’écho plus ou moins romanesque de sa biographie, qui a été remarquablement établie en France par Marcel Marnat. J’ai décidé de m’arrêter aux dix dernières années de la vie de Ravel, de la tournée américaine jusqu’à sa mort. Je voulais être très fidèle à ce qui s’est passé, à son parcours de 1928 à 1937, rester le plus près possible de lui tout en m’autorisant en même temps un traitement romanesque, en abordant Maurice Ravel comme un personnage de fiction.
Quand je le fais parler dans ce livre, ce sont presque toujours des propos que j’ai pu recueillir dans des témoignages de ses proches ou dans sa correspondance. C’est entièrement construit sur des données réelles, je ne voulais pas lui faire tenir des propos fictifs. Je trouvais plus intéressant d’utiliser de façon romanesque certains des éléments réels que j’ai pu trouver, mais justement sans écrire un texte biographique.
En filigrane, il y a la présence du jazz…
Allusivement, mais il est vrai qu’il a été l’un des premiers à introduire des éléments proches de la musique du jazz, dans la Sonate pour violon et piano par exemple, ou dans le Concerto pour la main gauche. Il semble qu’il n’ait pas vu dans cette musique un simple divertissement, comme d’autres compositeurs sans doute à cette époque, mais une création inventive à laquelle il fallait être attentif. […]
La vie de Ravel est paradoxale, remplie de mondanité et un vide invraisemblable…
C’est sans doute une vie douloureuse. Il donne le sentiment d’un personnage plutôt social, assez dandy, sortant beaucoup et, en même temps, d’un homme absolument clos. On ne sait au fond pas beaucoup de choses sur lui. Il reste dans une espèce d’opacité. C’est une chose qui m’intéressait par rapport à la façon dont je pouvais traiter certains personnages dans mes autres romans. D’après ce que l’on sait, il est un personnage sans psychologie démonstrative, très lisse, plutôt distant et secret, à part ce qu’il veut bien laisser voir de sa vie sociale et ce qu’il donne dans son œuvre, même s’il peut se plaindre de l’ennui, du vide, des journées passées à ne rien faire, à attendre, et cela bien avant la maladie. On ne sait rien de sa vie amoureuse, par exemple. Devant cette espèce de fermeture complète, je l’ai donc traité comme un personnage de fiction, en reconstruisant un personnage à partir des éléments que j’avais pu retrouver.
[…]
Dans Ravel, il y a une rupture de distance par rapport à vos autres livres, un rapprochement, un changement de focale…
La mise au point n’est évidemment pas la même pour ce livre que la façon dont je pouvais aborder, j’allais dire filmer, les personnages des romans précédents. On est beaucoup plus proche d’une figure principale, on ne la quitte pas un instant, ce qui est un peu paradoxal car en même temps c’est une figure plutôt masquée. Je suis plus près de lui que de personnages fictifs, et en même temps plus près d’une espèce de forteresse, d’un système de défense plus ou moins consciemment organisé. Je n’aime pas beaucoup l’idée des personnages qui imposeraient quoi que ce soit à l’auteur, je la trouve assez ridicule mais, pour ce livre, c’est le rapport qui a fini par s’instaurer avec Ravel qui a imposé un peu, disons, cette attitude d’écriture. Il est vrai encore une fois que, dans cette proximité-là, on peut aussi s’inventer des miroirs, s’imaginer presque permutable avec l’objet du roman, projeter vers lui des situations familères, mais je n’ai jamais eu le sentiment de parler de moi à travers un autre.
La Quinzaine littéraire, 16.01.2006
Ayant suivi, au fil des années, le travail d'Anne-Marie Lazarini au théâtre Artistic Athévains, je n'ai pu que m'enthousiasmer quand Anne-Marie m'a proposé d’écrire la musique de scène du Ravel de Jean Echenoz qu’elle voulait porter à la scène.
Il se trouve que je suis un avide lecteur de cet écrivain depuis des années et son livre Ravel m'a particulièrement touché.
En effet quand, enfant puis adolescent, j'étudiais le piano, mon professeur Marie-Louise Boëllmann, dernière descendante d’une grande famille d’organistes, me racontait florilège d'anecdotes concernant ces compositeurs et interprètes du début du 20ème. Grâce à elle, j’ai pu découvrir et déchiffrer nombreuses musiques à deux pianos et aussi me permettre d’improviser, savoir-faire des organistes depuis des siècles. Le hasard a voulu qu’il me soit donné à mon tour de composer à l’orgue durant ma résidence à l’Abbaye de Royaumont.
En tant que compositeur issu des musiques du 20ème siècle, dont le jazz – pour lequel Ravel avait lui-même un véritable intérêt – je baigne dans ces langages fauréens, debussistes et raveliens.
Envisager cette collaboration avec Anne-Marie Lazarini sur ce texte de Jean Echenoz, écrire et jouer de la musique pour piano seul, était pour moi un véritable cadeau !
Le travail musical sur ce spectacle se situe à plusieurs niveaux… L’écriture est d’autant plus complexe que la figure emblématique de Ravel va attirer un public qui, sans doute, attendra du texte et de la musique une fidélité absolue au maître. Il nous faut prendre en compte cette attente sans la satisfaire : ma démarche était donc proche de celle de l’écrivain qui, tout en intégrant à son roman des extraits de correspondance, de conversations et d’éléments biographiques, signe ici une vraie fiction qui, malgré toutes les libertés prises, ne trahit en rien la figure illustre du compositeur.
De la musique de Ravel nous avons donc choisi, Anne-Marie et moi-même, quelques œuvres tirées de ses compositions pour piano seul, dont sont joués des extraits très signifiants.
Mais l’essentiel de mon travail se consacre à la composition d’une musique de scène qui, tout en prolongeant l’univers musical original de Ravel, invente son écriture propre, intégrant également les contraintes liées au jeu et au rythme de la représentation.
Cette partition explore (explose !) librement le langage ravelien et ses couleurs, joue avec lui, un peu à la manière des artistes cubistes. Pour nombre de compositeurs de jazz, la musique de Ravel est une compagne de route mais chacun la réinvente sans cesse. En écho à certains des extraits ou thèmes choisis dans l’œuvre du compositeur, j’écris des « suites » libres à travers lesquelles se retrouvera mon « phrasé » particulier. Mais je souhaitais aussi renouer avec une pratique familière à Maurice Ravel : celle de composer à la manière de… Il l’a fait en son temps, rappelons-nous ses compositions à la manière de Chabrier, de Borrodine.
Ces écritures préservent ainsi l’harmonie de l’univers du spectacle et n’en sont pas moins le reflet de ma personnalité et de ma culture musicale, dans toute sa diversité.
Le projet est exigeant et la musique de Ravel est ma première composition pour le théâtre, mais la singularité de cette œuvre et la façon dont Anne-Marie Lazarini l’a abordée m’ont fait envisager cette collaboration avec passion !
Andy Emler
« Echenoz ? La réponse réside dans les premiers mots prononcés sur la scène des Athévains. Ravel est un texte qui mérite d’être lu et que l’on aime “entendre”, parce qu’il est d’une évidente qualité musicale et parce que Annne-Marie Lazarini et ses comédiens ont su en trouver le juste tempo et la juste métrique.(...) Avec un simple plateau et quelques accessoires, dont un piano (...) Anne-Marie Lazarini fait ainsi d’un art du verbe un art de la situation sans jamais nous détourner de la musicalité du texte Echenoz, tout en exprimant l’humour et la tendresse. » Franck Bergerot, Jazzman, 27 mars 2013
« Tout est vrai et tout est faux dans le roman-biographie d’Echenoz ; tout est vrai et tout est faux dans la délicate mise en scène aux oniriques décors bleus d’Anne-Marie Lazarini. La vie est un rêve. » Fabienne Pascaud, Télérama TT
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