"… Elle est blanche et brillante, informe et fraîche, passive et obstinée dans son seul vice : la pesanteur… elle s’effondre sans cesse, renonce à chaque instant à toute forme, ne tend qu’à s’humilier, se couche à plat ventre sur le sol… On pourrait presque dire que l’eau est folle, à cause de cet hystérique besoin de n’obéir qu’à la pesanteur…"
Francis Ponge, Le Parti pris des choses
Depuis 1983, date de création de leur compagnie, Odile Duboc et Françoise Michel travaillent à un même objectif : ravir le public sans user de subterfuges du spectaculaire ou de l’académisme. Elles questionnent sans cesse le rapport aux corps à la lumière et à la matière : Projet de la matière, titre d’un précédent spectacle reste dans toutes les mémoires par sa force tranquille, par le regard porté sur l’intimité des corps exposés de plein fouet à la pesanteur.
Dans cette pièce nouvelle, l’enthousiasme est à nouveau là : l’élément liquide conjugue les corps pour mieux explorer le groupe, en exposant leur poids à la liquidité. Chez Odile Duboc, la relation des danseurs à la matière est primordiale, et son traitement est lié aux corps en mouvements qui s’emparent et éprouvent ici leurs dispositions - prédispositions ? - à l’eau.
Pourtant ce sont des couleurs orangées, des framboises écrasées, vieux roses, et non pas des bleus lagons, qui ornent le plateau et son sol subtilement en pente, légère vague rouge sang se soulevant sur la grève. Les danseurs s’embarquent dans une course, large, circulaire, nullement empressée, qui déroule le temps et ne lutte pas avec : tout cela pour imprégner l’espace de leur présence, affichant leurs personnalités, fortes, déterminées à construire un groupe de leurs individualités.
Aux rouges saturés on pense aussitôt à Bacon et ses peintures : les cadres fixes et les visages convulsés. Mais c’est la dilatation des corps qui influencent immédiatement le regard. Les danseurs fléchissent, se déforment, insectes rampants sur une eau stagnante, ou animaux aquatiques se coulant dans une onde trouble. Parfois ils s’imbriquent les uns les autres pour finir par s’écraser en flaque.
Odile Duboc et Françoise Michel façonnent dans cette pièce les corps et les danseurs qui ne sont pas pour autant des figurines. Ils resplendissent, prenant la lumière en faisant rayonner la peau, blanche et mate comme l’albâtre, sur un sol qui se détache, comme les blocs d’un tableau vivant en permanente recomposition.
Avec ce spectacle plus ciselé que jamais, le spectateur se retrouve face à une œuvre plastique assumée, sans se projeter dans un trop plein esthétisant : la danse est belle, réelle, donnant sens aux forces vives qui nous déchirent et substitue une certaine idée de la beauté au chaos.
1, square du théâtre 14200 Hérouville Saint-Clair