L’enfer, c’est Rose..
Le langage, comme asile et comme arme
Hotel Impérial, 1937… Un liftier prend en otage dans son ascenseur celle qu’il croit être la femme d’un richissime industriel. Il est déjà trop tard quand il découvre son erreur. La dame s’appelle Rose Cats. En face de cette tornade, il va très vite comprendre que l’enfer, c’est Rose.
« Je voulais prendre une petite boite, la cabine d’un ascenseur, et y jeter des rêves, des valises, un liftier, un pistolet, de la nostalgie, une emmerdeuse, des histoires de mafia et de casino, des dizaines de personnages de cinéma, un grand magasin, la musique des années 30, une poupée qui s’appelle Raoul, une attaque à la scie circulaire, de la folie, des silences, des mots cabossés mais qui roulent encore. » T. F
D’où est née cette rencontre improbable entre la cocotte et le liftier ?
Timothée de Fombelle : Ces personnages et leur situation initiale sont dignes d’une série B ou d’un vaudeville : deux personnages qui d’habitude se croisent sans se parler, que le hasard et les circonstances réunissent, une poule de luxe et un petit liftier dans une cage d’ascenseur qui devient le lieu de leur rencontre et de leur opposition. Mais cette rencontre dépasse le fait divers et la pièce devient une comédie autour du langage et de ses pouvoirs, de sa force destructrice et de sa capacité de résistance. Mon but était que la prise d’otage s’inverse par la prise du langage : celle qui possède le langage prend le dessus sur celui qui n’a pas les armes de son acte. A cet égard, cette situation incongrue est le prétexte pour provoquer le dérapage qui conduit à l’inversion des rôles entre l’otage et le preneur d’otage. Il y a en fait trois personnages dans cette pièce : Rose Cats, Léger et ce langage plantureux, désordonné et avide. Rose Cats et Léger sont tous les deux des comédiens. Rose joue un rôle depuis qu’elle fait ce métier de cocotte, elle sait se fondre dans tous les milieux, grande duchesse par moments mais aussi capable d’une gouaille très populaire. Et c’est pareil pour le personnage du liftier qui s’invente un rôle du gros dur alors que c’est un cœur tendre. Dès la première seconde de la pièce, finalement, les rôles sont déjà inversés puisque Léger n’a pas l’étoffe de sa cruauté feinte, même si les personnages l’ignorent encore et que les spectateurs vont le découvrir peu à peu.
Pourquoi avoir choisi les Années folles comme cadre temporel ?
Timothée de Fombelle : On pourrait monter cette pièce sans rien, avec juste une chaise, la jouer sans autre temporalité que celle du texte. Ce que je cherche dans une pièce, c’est justement cette capacité de se l’approprier, la liberté et la confiance qu’elle accorde au metteur en scène qui s’en empare. Ici, comme j’avais le bonheur de me savoir metteur en scène en même temps que j’écrivais, j’ai considérablement allégé les indications dans le texte, au point parfois d’un certain hermétisme pour ceux qui la découvrent à la lecture. Difficile à lire, cette pièce demeure une sorte de matériau brut que le travail de mise en scène rend plus clair et plus transparent. A cet égard, la détermination chronologique qui place la pièce dans les Années folles est essentiellement une invention de la mise en scène même si certains éléments du texte indiquent que j’avais cette époque en tête au moment de l’écriture. J’ai choisi cette période que j’adore comme une dose supplémentaire de pittoresque mais d’autres mises en scène pourraient choisir d’éviter cette suggestion.
Peut-on dire néanmoins que cette époque marque ces deux êtres au sceau de la crise ?
Timothée de Fombelle : Ces deux personnages sont défaillants socialement : on sent que ce sont des gens qui ont dû prouver et éprouver leur être en se battant. La situation de danger fait donc ressurgir les conditions de leur affirmation. Au début, lui est plus fragile et elle apparemment plus forte, mais elle révèle progressivement ses fêlures et son manque d’amour vrai qu’elle va peut-être trouver avec ce type-là. L’époque à laquelle j’ai choisi de situer cette rencontre n’est pas anodine : on est dans une ambiance de fin du monde, de décadence. Léger vit dans la nostalgie du grand magasin où il régnait sur le cœur des clientes. Quant à Rose, même si elle n’a pas de paradis perdu, elle s’en est créé un en imagination dans ces scènes de cinéma qu’elle se raconte.
Vous inventez les références cinématographiques de Rose. D’où vient cette propension utopique dans votre écriture, que l’on retrouve dans Tobie Lolness ?
Timothée de Fombelle : Tout est effectivement inventé dans la cinéphilie de Rose : les personnages, les titres, en tout presque une centaine de noms ! Créer un monde, c’est faire sien le domaine de la liberté. Si pour certaines œuvres, souvent des commandes, j’aime faire des recherches et me soumettre à des exigences extérieures à ma propre fantaisie, j’aime aussi beaucoup créer moi-même tous les éléments du spectacle, comme je le faisais dans mon théâtre d’enfance, où je maîtrisais tout, de l’écriture au jeu en passant par les feux d’artifices ! En inventant un monde, on crée aussi son itinéraire dans ce monde : la déambulation naît avec l’espace qu’elle explore. Ce que j’aime le moins à cet égard dans les pièces de théâtre soi-disant sociales, c’est leur méconnaissance de la réalité et le monde tronqué qu’elles représentent et qui, pour ma part, m’empêche d’y croire et de rentrer dans l’histoire. Dans Tobie Lolness la botanique et la biologie végétale dessinent la base d’un monde imaginaire certes, mais très concret. En revanche, dans le monde imaginaire de Rose Cats, dans ce qu’on pourrait appeler son petit cinéma intérieur, il n’en est rien : tout est intégralement inventé et entièrement libéré de la cinéphilie réelle ! Mais dans les deux cas, je me retrouve dans cette jouissance de la maîtrise (peut-être une sorte d’orgueil démiurgique !) qui est avant tout une jouissance des mots, des situations créées, des personnages inventés avec la liberté assumée d’y aller carrément !
Vous signez une scénographie assez baroque pour cette pièce. Pourquoi ?
Timothée de Fombelle : On pourrait imaginer un décor plus épuré, on pourrait même imaginer se passer de décor. Pour ma part, j’ai voulu quelque chose d’un peu chargé, de figuratif, comme une bonbonnière. Léger aime l’odeur de la cocotte, et Rose aime le confort : je les ai voulus tous les deux a priori dans leur élément. Au départ, je souhaitais un décor comme une boîte de théâtre. J’adore le théâtre de marionnettes et il y a un côté castelet dans ce décor, qui dessine un monde miniature et précieux, comme une petite boîte à musique qui contiendrait une petite danseuse sous cloche. D’ailleurs, on retrouve cette autonomie propre à ce genre de mécanisme dans le texte lui-même, qui se passe de tout clin d’œil à l’air du temps et se veut d’une force classique.
Comment Rose et Léger ont-ils trouvé leurs interprètes ?
Timothée de Fombelle : Le rôle de Rose a été écrit pour faire chanter le talent de Laetitia, même si au début elle ne voyait pas bien ce que je voulais lui faire faire et demeurait un peu circonspecte ! Cette pièce a d’abord été écrite pour le jeu, pour les comédiens et pour le plaisir de jouer. J’ai senti qu’ils se l’appropriaient quand ils ont commencé à adopter hors scène les inversions syntaxiques et tous les traits caractéristiques du langage de leurs personnages. Je voulais deux comédiens que la pièce fasse éclore dans leurs émotions, à l’instar des personnages. Au début de la pièce, Rose et Léger sont un peu tendus, elle agressive, lui dans l’autodéfense, mais petit à petit l’émotion affleure et gagne. J’écris souvent pour des comédiens précis et je pense beaucoup à eux en écrivant : pour Laetitia, l’évidence était entière, pour Stéphane, nous avons aussi eu très vite l’intuition qu’il était notre Léger. En créant des personnages dont l’état intérieur évolue autant au fur et à mesure de la pièce, j’avais le désir que le spectateur chemine dans les états d’esprit des personnages, non pas pour le perdre mais pour intensifier son empathie avec eux.
Entretien avec Timothée de Fombelle, réalisé par Catherine Robert en juillet 2006.
Vue hier soir, excellente pièce. Un jeu d'acteur tonique et juste qui donne une ampleur peu commune à ce huis clos. Des personnages que tout oppose vont comprendre et se rejoindre là où leur rêves ont se sont évaporés.
Vue hier soir, excellente pièce. Un jeu d'acteur tonique et juste qui donne une ampleur peu commune à ce huis clos. Des personnages que tout oppose vont comprendre et se rejoindre là où leur rêves ont se sont évaporés.
12, rue du Renard 75004 Paris