Roi Lear de quat’sous, elle raconte le déclin du vieux Mendel Krik, ses derniers jours de gloire et d’excès, et sa fin pathétique, estropié par ses fils, exhibé comme une vieille poupée fardée devant les amis, le quartier et le rabbin venu bénir le nouvel ordre des choses. L’histoire familiale que raconte Babel rappelle par sa brutalité ses descriptions de la guerre civile dans Cavalerie rouge, mais reprend, avec les personnages des Contes d’Odessa, leur humour tendre et bariolé. Ce mélange désarmant de lucidité implacable et de romantisme populaire fait le ton de la pièce qui se tient à distance de tous ses personnages sans jamais les condamner.
Faisant revivre les figures qui devaient le fasciner dans son enfance à Odessa, les bandits, prostituées, patrons de taverne, petits artisans ou boutiquiers qu’ils croisaient dans les rues, Babel les croque de quelques traits de plume avec autant d’humour que d’efficacité. Le plaisir de personnages hauts en couleurs, immédiatement caractérisés par des silhouettes bizarres et des accoutrements improbables, rappelle les contes populaires où un petit truand de quartier peut devenir, dans les yeux d’un enfant, « le Roi des gangsters d’Odessa », capable de tenir en échec sa majesté impériale en personne.
Comme l’écrit Simon Markish, « la première des deux pièces de théâtre de Babel, Soleil couchant / Le Crépuscule (1926 -1927), est issue des Contes d’Odessa dont elle reprend l’atmosphère générale et les personnages. Mais ce qui donnait, dans les récits, l’impression d’une anecdote, acquiert ici une tout autre ampleur.
Le thème – la tragédie de la relève des générations – avait déjà été exploité dans la dramaturgie juive d’expression russe, mais sous la plume de Babel, cette tragédie devient un chef d’oeuvre, moins à cause de sa connaissance du matériau (le milieu juif d’Odessa) que par l’utilisation d’une sagesse biblique transformée par le peuple en sagesse du quotidien. La symbolique du crépuscule montre le déclin de l’ancien mode de vie.
Quelle sera l’aurore et quel monde nouveau éclairera-t-elle, l’auteur l’ignore. Il y a de l’anxiété et du chagrin dans cette pièce qui allait marquer aussi le début du crépuscule pour Babel lui-même ».
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