Sorelline traverse de multiples registres. La culpabilité ouvre la voie à l’abandon, le grotesque succède à la poésie, la violence engendre la tendresse... Enfin, de multiples situations ambivalentes qui parlent de l’humain dans ses quêtes contradictoires, comme Fellini aurait pu les filmer.
Ainsi l’art du rythme ne s’improvise pas, c’est un art de l’écriture. Celle de Caterina Sagna fait cohabiter le théâtre et la danse, le sentiment fragile et le mouvement structuré. Toujours en contrepoint pour souligner les contrastes, glorifier le pouvoir absurde jusque dans ses moindres détails. On voudrait alors raconter cette pièce comme on raconte une histoire, et voilà qu’on est impuissant à le faire. La danse brise toute vélléité narrative. Sorelline nous entraîne en plusieurs lieux et plusieurs temps à la fois. Composée d’échappées très physiques et de retenues finement poétiques, rythmée par des disparitions et des réapparitions, la danse ouvre sans cesse à des situations étonnantes, tant elles sont inattendues.
Splendeurs et misères d’un faux
Un livre peut-il être en même temps le classique de la littérature féminine pour l’enfance et l’œuvre la moins éducative parmi toutes celles qui, au cours des siècles, ont été concoctées pour les jeunes filles en fleur ? Les petits rideaux de théâtre de la tempérance familiale, le puritanisme à quatre sous, la complicité tenant de la science-fiction entre mère et filles, et cette perfectibilité (en soi déjà parfaite) continuelle des sentiments - tout, dans Les quatre filles du docteur March vient s’ajouter au tableau d’une hypocrisie éclatante, totale. Le roman de Louisa May Alcott, écrit pour être un chef-d’œuvre de délicate réserve féminine, a acquis, avec le temps, une certaine forme d’effronterie commerciale qui le rend de moins en moins crédible mais, pour certains aspects, plus vendable et pour d’autres plus “théâtralisable”. Mais le côté faussaire, tellement pavé de bonnes intentions, des Quatre filles du docteur March ne serait pas aussi excitant s’il ne relevait pas, à son tour, plus du désir que du calcul : pris sous l’angle de la candeur, l’apologue sur les filles du docteur March est moins de l’histoire contrefaite d’un ménage entre sœurs que la “chronique véridique” (et digne de la presse à sensation) d’une tendance à falsifier et à se falsifier.
Petites Sœurs, célèbre la sincérité profonde de chaque tendance au mensonge, en particulier là où la proximité est bien sûr organique (définie par le sang) mais aussi artificielle (parce qu’elle est moins définie par le sang que par l’âme), comme cela advient entre les filles nées de la même mère.
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