Jasna Vinovrski apparaît en parfaite hôtesse de l’air, avec ses talons hauts, son tailleur et son chemisier boutonné jusqu’en haut, mais c'est pour inviter à un curieux voyage. Initiée, comme elle l'annonce, dans le cadre d'un projet sur les « corps migrants », la pièce aborde d'emblée le sujet avec ironie : les migrants, ici, seront ses deux partenaires, soit un livre, fabriqué dans sa ville natale, et un iPad. Elle confie le premier au public et se sert du second comme métronome, puis comme « tutoriel », maître de la chorégraphie qu'elle s'évertue à suivre, avant de le reléguer sur sa tête, en équilibre fragile.
Tout l'art de Jasna Vinovrski réside dans le léger écart entre les ordres donnés – que l'on devine – et sa façon zélée de les appliquer. Il en résulte un effet comique et grinçant sur la manière dont l'outil technologique a envahi nos vies, et finalement pris le contrôle, intensifiant les états de stress qui se traduisent sur scène par des effets de vitesse et des exercices d'équilibriste de plus en plus difficile.
« Une heureuse coïncidence fait du rythme de cette chanson un bon moyen de se souvenir du rythme à tenir lors d'un massage cardiaque » dit Wikipedia de Staying Alive, le fameux tube des Bee Gees, qui donne son nom à la pièce. Jasna Vinovrski semble prendre, non sans humour, cette donnée au pied de la lettre : « Stayin alive », c'est aussi la manière dont on doit aujourd'hui rester en vie, perché en équilibre précaire au sommet d'une Europe qui répète les mêmes injonctions politiques dans toutes les langues, soumis au rythme d'iPad fabriqués en Chine, en état d'urgence permanent.
Chorégraphie, performance : Jasna L. Vinovrski
solo, 37 minutes
Collaborateurs : mini iPad, livres
Musique : Bee Gees
Le travail de la jeune chorégraphe Daina Ashbee, québécoise descendante du peuple Métis par son père, est imprégné de la violence faite aux minorités autochtones du Canada et notamment aux femmes.
Dans ce solo, tout commence dans le noir, où résonne régulièrement un cri aigu comme une note fragile, tendue, qui s’arrête et reprend, parfois tremblante et vacillante. Lorsqu’une lumière blanche laisse enfin apparaître la danseuse, elle est torse nue, immobile, provocante, le regard vide et étrange fixé sur un point précis. Cette façon de faire face au public, puis de se déshabiller, instaure un léger malaise. Celui du voyeur découvert, celui d’avoir sous les yeux une femme à la merci de ceux qui la regardent, sans échappatoire possible.
Paige Culley, interprète d'une grande expressivité, successivement absente à elle-même, stoïque et défiante, dégageant autant de force que de vulnérabilité, se transforme tour à tour en pur objet sculptural, en corps animal et sensuel, ou en être blessé, traversé par la violence - celle qu'il s'inflige, celle à laquelle on le renvoie. Ici, le corps se tend et tremble, appelle et se replie, se contracte et se retrouve en posture difficile, crie et gémit, est pris de spasmes, cogne le sol de plus en plus vite, de plus en plus fort, devenant un instrument percussif, se débat comme un poisson hors de l’eau avant de reprendre enfin pied.
Daina Ashbee signe une pièce sombre, dérangeante et puissante, habitée par une violence sourde, et expose le rapport entre ceux qui la subissent et ceux qui en sont témoins.
Chorégraphie et scénographie : Daina Ashbee
Interprète : Paige Culley
Solo, 1 heure
Face aux spectateurs, silencieuse, autour d'elle, des portants avec des vêtements. Elle reste longtemps ainsi, avant de lentement tourner la tête d'un côté et de l'autre puis fixe de nouveau le public, comme si elle était à un examen, et les spectateurs ses juges.
Enfin, elle sourit et se met à parler en minaudant un peu, comme une jeune fille qui se répète une leçon. Et c'est en quelque sorte ce qu'elle fait puisque le long discours qu'elle déploie est « un bref mode d'emploi destiné aux femmes pour éviter les ennuis qui les menacent, car vous savez… les temps sont durs. »
Né en réaction contre un viol collectif, mais aussi plus profondément des injonctions qu'elle a entendu depuis l'enfance, ce solo met ainsi en scène brillamment, avec une grande économie de moyens et une ironie féroce, la place dévolue à la femme dans la société indienne et surtout, la manière qu’on a de lui faire endosser la responsabilité d’actes dont elle est pourtant victime.
En se couvrant littéralement de vêtements, tout en égrenant les raisons pour lesquelles une femme devrait faire attention « pour son propre bien », elle met en évidence, par l’absurde, ce qui sous-tend les recommandations qu’on lui délivre : pour ne rien craindre, il suffit juste de ne rien être, de disparaître - ici concrètement derrière un amoncellement de vêtements, ailleurs symboliquement derrière les conseils de prudence qui sont autant d’armes de domination.
Il y a à la fois de la provocation, un sens aigu du théâtre et de la satire dans la manière dont Mallika Taneja joue ainsi de ce Be Careful, un refus de se laisser enfermer et réduire jubilatoire.
Conception, interprétation : Mallika Taneja
Solo, 20 minutes
20, rue Marie-Anne Colombier 93170 Bagnolet
Voiture A3 ou périphérique, sortie Porte de Bagnolet. Direction Centre Ville par la rue Sadi-Carnot puis prendre à gauche avant l’église, rue Marie-Anne Colombier.