Torquato Tasso est un poète insurgé, un individu génial, inapte à la mesure.
Il oeuvre pour le Duc de Ferrare, Alphonse II, un aristocrate de la Renaissance italienne qui a choisi de développer une politique puissante en finançant la création d’oeuvres d’art. Ainsi, Tasso doit participer « au processus de civilisation» du duché, favoriser l’épanouissement d’une haute culture de l’esprit et par là même faire régner la beauté.
Nous sommes en 1570. Fêté par le Duc, il n’en est pas moins tributaire et sa liberté d’expression s’accommode mal des codes qui règnent à la cour. Son art force l’admiration mais son comportement dérange, est jugé scandaleux. La société de Ferrare l’encourage à créer en reconnaissant son génie, et dans le même temps l’exclut, incapable d’accepter sa singularité.
Ce sont les mêmes qui prétendent rechercher une perfection morale et esthétique, qui précipitent l’artiste dans la catastrophe. Ils le considèrent comme fou et l’abandonnent sans ménagement. Tasso s’effondre, fracassé. Même anéanti, la victoire lui revient. Dans sa chute, il oblige la cour à s’interroger sur son niveau de culture.
En exprimant ses affects et en basculant dans la folie, Tasso révèle une crise culturelle profonde. Il porte un coup aux artistes courtisans et laisse béante la question de l’artiste face à un pouvoir qui cherche à l’assujettir.
Texte français Bruno Bayen.
Voilà plusieurs saisons que je voulais interroger les relations complexes et troubles entre notre République et les Arts qu’elle finance. J’entendais avant tout parler de celui qui me préoccupe le plus, que je connais le mieux : l’Art dramatique, particulièrement dépendant des subventions d’Etat comme vous le savez. J’ai commencé par le faire en représentant Vie de Joseph Roulin de Pierre Michon, j’ai continué avec la figure de Prométhée, et je referme aujourd’hui ce cycle avec celle du poète italien Torquato Tasso. Cette dernière est la plus dense, la plus complexe aussi, pour exposer les comportements et les rouages d’une société qui finance les artistes tout en ayant le pouvoir permanent de les exclure, qui les accule à devenir des courtisans subtils ou alors des ous géniaux.
Goethe était au cœur de ces contradictions quand il officiait à la cour de Weimar, quand il conçut Torquato Tasso. Le Tasse lui aussi vécut le plus cruel déchirement à la cour de Ferrare, profitant de la protection du duché tout en subissant une redoutable instrumentalisation. C’est fort de la biographie de ces deux immenses poètes, que j’entre pris cette recherche.
Mais comme à chaque fois, l’œuvre a dévoilé un champ de travail beaucoup plus vaste et a révélé qu’une nécessité supérieure à l’enjeu politique menait sa rédaction. Goethe, comme Le Tasse, était en proie à un clivage intérieur et à une passion dévorante. Il se débattait avec sa révolte, ses pulsions et l’ambition d’accéder à la maîtrise de soi pour ne pas sombrer mais faire carrière. Ses tourments, son feu intérieur alimentaient la puissance de sa poésie, et dans le même temps le consumaient. Le Pouvoir le priait de s’arracher à lui-même afin que l’homme mesuré gagne au risque de faire perdre le poète. Il y parvint en renonçant, en abandonnant cette part insoumise de lui-même. Il fut anobli, nommé ministre, directeur du théâtre de Weimar... Torquato Tasso date de l’époque où il mua. Cette œuvre charnière, au mitan de sa vie, m’apparait aujourd’hui comme un acte de contrition, où le grand écrivain reconnait avoir sacrifié le jeune poète.
Guillaume Delaveau
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