Trouble in Tahiti

Un opéra acide, composé en 1952, aux accents de comédie musicale... Tous les poncifs de la société américaine, du hamburger au body-building, sont passés à la moulinette de la satire sociale...

Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein
Leonard Bernstein, homme de musique et de théâtre
Camera Obscura
La Bonne Cuisine de Leonard Bernstein (1949)

Trouble in Tahiti sera précédé de "Camera Obscura" de Jonathan Sheffer et de "La bonne cuisine" de Leonard Bernstein.

Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein

Voilà donc notre jeune couple marié depuis quelques années. L'opéra va suivre la journée de Madame et Monsieur ponctuée par un chœur (que Bernstein appelle par antiphrase "chœur antique") qui commente avec ironie la vie et les joies de la société de consommation.

Au petit déjeuner, la tension monte déjà parce que Sam, alors qu'il l'a promis, n'ira pas assister à la fête de fin d'année de leur fils. Il part travailler à la banque où il traite ses clients et ses collaboratrices avec supériorité. Parallèlement, Dinah va chez son psychanaliste. A midi, ils se croisent dans la rue mais chacun prétexte un rendez-vous pour éviter de déjeuner avec l'autre. L'après-midi, Sam, au lieu d'aller voir son fils, va à sa salle de sport célébrer les vertus du mâle américain dressé pour gagner. Dinah non plus ne va pas voir le charmant bambin, elle se réfugie au cinéma pour voir Trouble in Tahiti. Mais le film ne lui apporte ni rêve ni détente, elle est même révoltée qu'on puisse produire des navets aussi indigents. Au dîner, on s'était bien promis d'essayer de se parler, mais s'il n'y a plus l'agressivité matinale, les mots ne viennent pas pour autant. Que faire ? Comment s'échapper ?

Leonard Bernstein, homme de musique et de théâtre

Au lendemain de la guerre, Bernstein, dans sa trentaine, connaît une période d’extraordinaire créativité. Il commence à diriger les grands orchestres dont le New York Philharmonic, il crée ses deux premières symphonies, il écrit pour le ballet commençant une collaboration avec Jérôme Robins (successivement Fancy Three, On the Town, Tree dance episode) qui culminera avec West Side Story, il s’essaye à la musique de film avec Elia Kazan (On the waterfront) et écrit un opéra qui passera inaperçu : Trouble in Tahiti.

Cette œuvre courte est au cœur des préoccupations du compositeur à cette époque : d’un côté la tradition classique dont il est l'interprète comme chef d’orchestre, et de l’autre le musical, le jazz. Alors que dans West Side Story il finira par faire pencher la balance nettement du côté de Broadway, dans Trouble in Tahiti, il heurte volontairement l’univers de l’opéra contre celui de la comédie musicale sans chercher à proposer de synthèse mais en pariant sur le mélange des genres. Il y a donc le couple de protagonistes qui vit la tragédie du désamour sur le mode de l’opéra et face à lui, un chœur "grec antique" en trio traité sur le mode du musical.

Un couple modèle dans une banlieue chic, détruit par l’égoïsme et l'impossibilité de communiquer : l'œuvre fait aussi sa part à l'influence du cinéma en empruntant son thème à la comédie américaine dont Billy Wilder a été l’un des maîtres, et qui fait une critique virevoltante mais non moins acide de "l’American way of life".

A cet égard, le portrait de l’américain en col blanc dressé pour gagner, illustré par le grand air du baryton dans sa salle de musculation, à la fois grinçant et terrifiant, n’a rien perdu aujourd’hui de sa force.

Même si les scènes, comme au cinéma, passent du bureau au fast food, de la salle de gym au cabinet du psychanalyste, et malgré l'ironie de la critique, c’est sur le mode tragique que Bernstein n'hésite pas à les traiter. Oui, il s’agit bien d’une tragédie, c’est à dire un opéra, dont le sujet est l'impossibilité d’aimer. Mais Bernstein ne se prend pas tout à fait au sérieux: "qui dit tragédie dit chœur antique, demande-t-il, eh bien va pour le chœur mais alors, il sortira du musical et traînera avec lui le swing, la danse, les claquettes, tout un glacis d’entertainment qui rendra le plat encore plus amer". Bernstein tente là avec le chœur un travail de composition particulièrement original sur un parler américain (il signe aussi le livret) boulimique d’assonances et de rythmes.

Trouble in Tahiti n’eut qu’un succès d’estime, on s’en doute. Pourtant Bernstein, qui y tenait beaucoup, y reviendra en 1983, pour l’incorporer comme flash back dans le deuxième acte de son grand opéra A Quiet Place, comme s’il voulait répondre trente ans plus tard à l’échec de Broadway. Le vieil homme réaffirmait son projet de 1952, son obsession d’un authentique art lyrique américain qui réinventerait la convention de l’opéra avec ses chœurs par une écriture d’une grande densité vocale et instrumentale, sans pour autant renoncer à la hantise du jazz et du musical.

La représentation que nous avons imaginée est conçue comme un hommage à Leonard Bernstein. Son idée de mélanger sans ménagement les genres les plus opposés a fait son chemin. Nous commencerons par une courte scène de Jonathan Sheffer qui fut son élève à Harvard, intitulée Camera Obscura qui reprend le thème de l'impossibilité de communiquer en amour mais décuplée par les possibilités de communication vidéo. En guise d’entracte, et puisque Bernstein était francophile, nous jouerons La Bonne Cuisine, ce cycle de quatre mélodies qu’il avait composé sur des recettes en français d’Emile Dumont : Plum Pudding, Queues de Boeuf, Tavoul Gueunksis, Civet à toute vitesse...

Bernard Yannotta et Jean Lacornerie

Camera Obscura

"Comédie musicale" / musique de Jonathan Sheffer, texte de Robert Patrick

Après avoir échangé une correspondance, un homme et une femme ont enfin l'occasion de se voir et de se parler par vidéo-conférence. Mais le système de transmission impose un léger délai qui empêche la communication de se faire en temps réel, chacun recevant les images de l'autre avec quelques secondes de décalage. Ils n'ont droit qu'à cinq minutes de temps de parole. Cinq minutes pour essayer de maîtriser ces contraintes, pour se cacher derrière elles, pour jouer avec elles : car ce qu'ils ont vraiment à se dire est difficile à dire...

Bien que cela fasse bientôt 20 ans, je me souviens avec une grande acuité du moment où j’écrivais Camera Obscura même si le temps qui s’écoule entre les efforts créatifs et qui a tendance à s’effondrer dans un infini présent, dans lequel les problèmes de style et d’influence n’ont ni pédigrée, ni histoire.

En 1978, j’étudiais la composition à la Juilliard School et à Aspen et j’avais l'intention de créer une sorte de comédie musicale plus sophistiquée pour Broadway, mais je restais toujours curieux d’opéra.

C’est une ironie du sort que cette comédie soit donnée en même temps que celle de Bernstein car celui-ci a joué un grand rôle dans ma vie à ce moment-là : je l’avais rencontré à Harvard et avais goûté chaque moment de sa présence, tout particulièrement en assistant à ses répétitions et à ses concerts des symphonies de Beethoven à Vienne en 1978. En beaucoup de points, la direction qu'il a prise avec Trouble in Tahiti et qui a atteint sa forme la plus pure dans West Side Story fut aussi ma voie. Il est la main invisible qui a guidé la mienne alors que je cherchais ma propre voie.

"Camera Obscura de Robert Patrick était une pièce que j'avais vue quand j'étais au lycée. L'opéra que j'en ai tiré a été joué deux fois. Ce sera la création européenne de cette œuvre sous une nouvelle forme orchestrée pour le Festival des Arcs." Jonathan Sheffer

La Bonne Cuisine de Leonard Bernstein (1949)
d'après La Bonne Cuisine Française d'Emile Dumont

La jeune femme devenue jeune épouse fait le cauchemar de la parfaite maîtresse de maison : des recettes de cuisine (mais chantées, et en français), les mots et les ingrédients s'envolent, se dérobent.

1. Plum Pudding
Deux cent cinquante grammes de raisins de Malaga,
Deux cent cinquante gramm'de raisins de Corinthe,(Raisins de Corinthe)
Deux cent cinquante gramm'de graisse de rognon de bœuf,
et cent vingt gramm'de mie de pain émiettée : (de pain émiettée)
Soixante gramm'de sucr'en poudre ou de cassonade ;
un verr'de lait ; un demi verr'de rhum ou d'eau-de-vie ;
trois œufs ; un citron !
muscade, gingembre, cannell' en poudre, mélangés (en tout la moitié d'une cuillère à café) ;
sel fin la moitié d'une cuillère à café.

2. Queues de bœuf
La queue de bœuf n'est pas un mets à dédaigner.
D'abord avec assez de queues de bœuf
on peut fair'un pot au feu passable.
Les queues qui ont servi à faire le pot-au-feu peuv'nt être mangées, panées, et grillées, et servies avec une sauce piquante ou tomate.
La queue de bœuf n'est pas un mets à dédaigner.

3. Tavouk Gueunksis
Tavouk Gueunksis, poitrine de poule ;
Faut'bouillir une poul' ;
dont vous prendrez les blancs ;
vous les pillerez de façon à ce qu'ils se mett'en charpie.
Puis mêlez-les, mêlez-les avec une bouillie, comme celle ci-dessus, comme celle ci-dessus du Mahallebi.
Tavouk Gueunksis, poitrine de poule ;

4. Civet à toute vitesse
Lorsqu'on sera très pressé,
voici une manière de confectionner un civet de lièvre que je recommande !
Dépecez le lièvre comme pour le civet ordinaire :
mettez-le dans une casserole ou un chaudron avec son sang et son foie écrasé !
Un'demi livre de poitrine de porc (coupée en morceaux) ;
une vingtaine de petits oignons (un peu de sel et poivr') ;
un litre et demi de vin rouge.
Fait'bouillir à tout'vitesse,
fait'bouillir à tout'vitesse.
Au bout de quinze minutes environ,
lorsque la sauce est réduite de moitié,
approchez un papier enflammé,
de manière à mettre le feu au ragoût.
Lorsqu'il sera éteint,
liez la sauc(e) avec un'demi livre de beurre manié de farine... Servez.

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Informations pratiques

L'Azimut - Théâtre F. Gémier / P. Devedjian

13, rue Maurice Labrousse 92160 Antony

  • RER : Antony à 191 m
  • Bus : Théâtre - Mairie à 123 m, Gare d'Antony à 157 m, Antony RER à 206 m
  • Voiture : par la N20. Après la Croix de Berny suivre Antony centre puis le fléchage.
    15 min de la porte d’Orléans.
    Stationnement possible au parking Maurice Labrousse (gratuit à partir 18h30 et les dimanches), au parking du Marché (gratuit pendant 3h après validation du ticket de parking à la caisse du théâtre) et au parking de l’Hôtel de ville (gratuit pendant 1h15).

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L'Azimut - Théâtre F. Gémier / P. Devedjian
13, rue Maurice Labrousse 92160 Antony
Spectacle terminé depuis le jeudi 30 mars 2000

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