“ J’ai survécu dans ce cachot. J’ai survécu pour dire qu’il y a une manière non humaine d’être humain. Qu’il subsiste de l’humain au plus profond du déshumain.”
C’est dimanche, il pleut, une jeune fille est là, prostrée sous une voûte de pierre. Une jeune fille échappée d’un centre de rééducation. Elle est à l’endroit même où, dans un autre temps, une autre jeune fille s’était enfuie de la plantation où elle était esclave… Ainsi, deux aliénations s’enchevêtrent dans le brouillon de la mémoire, deux temps sur un même lieu se superposent dans le roman de l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau, deux jeunes voix féminines réunies dans une même révolte.
Dans son adaptation, José Pliya a gardé la voix de l’Oubliée, la voix marronne de la petite chabine, l’esclave rebelle échappée de l’habitation des maîtres. Dans la mise en scène de Serge Tranvouez, elle apparaît dans un rectangle de lumière, cerné d’un noir obscur, comme si au-dehors tout était ténèbres. Elle y demeurera le temps du spectacle, avec, à ses côtés, en retrait, un musicien, témoin, confident, présence.
Sa parole est nue, abrupte. Elle est la « voix des oubliés de l’histoire ». Elle conduit la lumière au cœur de la blessure majeure. Elle porte les mots et la langue superbe du poète romancier qui, dans cette nudité théâtrale, prennent toute leur dimension poétique et libératrice.
« C'est un cheminement initiatique et une langue puissamment poétique que nous fait vivre l'impeccable Laëtitia Guédon à la voix rauque (...) » Mathieu Perez, le canard enchaîné, 20 juin 2018
José Pliya, dans son adaptation du roman de Patrick Chamoiseau, ne conserve que la parole de “ L’ oubliée ” : la petite chabine enfermée au cachot pour avoir osé crier contre le maître. Ce choix est symbolique et cette voix est un hommage à tous les oubliés de l’esclavage mais également à ceux d’aujourd’hui qui souffrent d’une autre forme de coercition et de négation.
Le but de notre travail est de faire entendre la voix de “ L’oubliée ”. Faire entendre la langue riche et charpentée de Patrick Chamoiseau. Cette langue qui devient aussi un outil pour se battre et sortir du cachot. A travers l’épreuve intime de la chabine, c’est une expérience plus universelle qui se joue : transmuer le passé douloureux de la Martinique en lumière et beauté, c’est-à-dire donner sens au passé pour aller vers l’avenir. Traverser la mort pour aller vers la vie. Aller de l’obscur à la lumière.
Serge Tranvouez
159 avenue Gambetta 75020 Paris