Présentation
A propos du théâtre
A propos du théâtre de Jacques Serena
Un lieu sombre. Une femme aux longs cheveux échouée dans une pose improbable. Et osée. Et belle. Une femme mûre. Le lieu ne serait ni réaliste, ni surréaliste, ni ici-bas, ni au-delà.
Evidemment elle aurait pu, pourrait même encore un peu, sappeler Nico, ou Françoise Dorléac, ou Catherine Ribeiro, ce genre. Tirée là de loubli, mais pas trop.
Lépoque nest quand même pas si loin où, à cause delles, on avait cru le vieux monde derrière nous et sétait arrêté de courir. Et pendant quon les aimait, mal, bien sûr, mais quand même, le vieux monde reprenait linitiative, bref.
Celle-là, échouée, en a fini avec son rôle, sa fonction. Est en train, si ça se trouve, den finir avec elle-même. De ne pas en finir den finir. Et nous donc. Dans la pénombre. Avec sa voix comme en souvenir, et les silences. Et dune guitare, bien sûr, pas loin, Lou Reedienne, forcément.
Du genre vieille cassette pirate captée à travers une cloison, un, une, muses, héros déglingués, un soir où ils auraient été trop déchirés pour chanter et jouer mais lauraient fait, à un moment on aurait pu savoir leurs vrais noms, à un autre moment confondre, cette vieille impro doutre mur de muses et héros jetés.
Jacques Serena
" ...Je dessine un modèle nu, une femme belle, dans une pose classique, jai dix-huit ans, cest dans un cours aux beaux-arts. Je suis étonné du peu que je ressens, de ne pas my intéresser plus, du désespérant de ce corps devant moi. Tout en posant, la femme parle, on écoute à peine. Puis cest la fin de la séance, la femme veut descendre de lestrade, perd léquilibre, tombe, une seconde il y a son corps, incongru, son visage hébété, soudain elle est vraiment nue, elle existe pour moi. et là le moindre mot quelle dit matteint gravement...
Cest retrouver la beauté grave de ces moments-là qui mintéresse, un peu divine, un peu malsaine, cette rencontre inespérée entre le divin et lobscène, cette longue seconde adéquate doù jaillit on ne sait pas quoi, mais qui imparablement nous atteint. "
Jacques Serena
A propos du théâtre de Jacques Serena
Il écrit, Mallarmé, mais où je ne sais plus, il écrit, cest comme une illumination, ceci : " A moins que nexiste, à lesprit de quiconque a rêvé les humains jusquà soi, rien quun compte exact de purs motifs rythmiques de lêtre, qui en sont les reconnaissables signes ", et lidée nest pas simple, non, ou alors trop forte, trop aveuglante, mais si, voulant dire pourquoi le théâtre de Jacques Serena me passionne, jéprouve le besoin de citer Mallarmé, cest bien pour creuser cette illumination-là. Et aussi pour éviter un malentendu qui guette le théâtre de Serena. Celui de sa réduction à lunivers de la marge. Les lieux, les situations, les personnages, sont certes ceux de lexclusion, et Gouaches sinscrit dans la continuité de Rimmel, première pièce de lauteur : largent manque cruellement, on se nourrit aux coquillettes, on se fait des plans pizza au thon, lappartement "visité" devient vite un squat, les rares bibelots disparaissent et, dès la troisième scène, le salon est vidé de ses meubles. Mais cest alors que tout peut commencer. Car chez Serena, quant tout vient à manquer, et quil nest plus rien à perdre, si ce nest le gîte et le couvert, il reste une denrée inépuisable, dont ses personnages semblent pouvoir consommer à volonté, au risque eux, de sépuiser : la langue. Elle aussi est socialisée, du moins le choix des mots, souvent limité, et quimporte puisque - doù Mallarmé - ce sont les " purs motifs rythmiques de lêtre " qui sont ici recherchés. Une question de souffles. De débits. Daccents toniques. De syllabes décisives. Dans les petites tragédies de leur existence, il entendent leur musique et seule elle justifie le pourquoi de leur présence au monde. Alors il la jouent. Et si cette musique, elle parvient ensuite à résonner dans nos têtes, alors peut-être ils nont pas rêvé, peut-être ils sont vraiment là, vivant, respirant et soufflant parmi nous.
Joël Jouanneau
159 avenue Gambetta 75020 Paris