Vingt ans après une liaison aussi brève qu’intense, une femme rangée tente de mettre enfin des mots sur le surgissement inopiné et dévastateur du désir.
Zweig pose, ici plus qu’ailleurs sans doute, un regard d’entomologiste sur nos passions et nos troubles les plus inavoués. L’histoire qu’il nous conte est exemplaire : une femme, qui a ressassé pendant plus de vingt ans une histoire aussi heureuse que douloureuse, s’en délivre devant nous par la parole, tandis que les mots viennent enfin donner sens à son expérience unique.
Ne pouvant avoir recours à la confession (elle est anglicane), la femme se choisit un confident. On n’est pas loin du lieu de l’analyse ou de celui du théâtre, lieux de la parole, du dire, de l’adresse, des mots prononcés devant témoin(s). Et de fait, nous assistons à la naissance d’une parole. L’histoire restée innommée prend soudain sens devant nous à l’instant du dire. Nous suivons les méandres de la pensée, l’effort de la protagoniste pour être aussi honnête et véridique que possible ; nous cherchons avec plaisir à deviner avant elle, comme dans une enquête policière où chaque détail le plus infime soit-il devient un indice.
Le désir, comme embusqué, prend un plaisir malin à se cacher sous la crainte ou sous la piété, tandis que le jeune homme dont il est l’objet passe de l’animalité la plus sauvage à l’innocence enfantine la plus désarmante, de la veulerie à la violence, de la passion à la déférence et à la sanctification ! Ses métamorphoses, obscures pour la narratrice, font de la plongée dans l’inconscient une sorte de conte fantastique, où les mains prennent leur autonomie pour devenir des chats ou des méduses, où les éléments se déchaînent ou s’apaisent au gré des tourments intérieurs de l’héroïne… Et il lui faut refaire mentalement devant nous tout le chemin de son aventure pour que la passion s’avoue enfin, inouïe.
Laurence Campet
« La représentation repose entièrement sur les épaules de l'actrice... émouvante Marie Le Galès. » Jacques Nerson, Le nouvel Observateur
« La comédienne Marie Le Galès compose son personnage avec minutie... intense dans sa traversée des mots... » Emmanuelle Bouchez, Télérama
« (...) l'interprétation de Marie Le Galès, qui est tout simplement lumineuse. Une vraie grâce. » Jean-Luc Jeener, Le Figaro
« Habitant totalement son personnage, la comédienne Marie Le Galès joue adroitement de sa sincérité et sa sensibilité. Son interprètation possède la douceur et la pudeur attendues. Difficile pour le spectateur de quitter son regard une fois qu’il y a plongé. » Dimitri Denorme, Pariscope
On le sait, Zweig est contemporain de Freud avec lequel il a entretenu une correspondance régulière. Mais il l’est aussi de l’écrivain Schnitzler, des peintres Klimt ou Schiele, et de bien d’autres artistes et intellectuels représentatifs de l’extraordinaire effervescence qui a marqué la vie des idées dans la Vienne d’avant la première guerre mondiale. Et ce qui frappe dans l’oeuvre des uns et des autres, c’est, dans le sillage de Freud, l’attention passionnée accordée à l’Eros, à la « libido » (c’est Freud qui crée le mot). Avec la découverte de l’importance de l’inconscient, l’évidence s’impose enfin : le désir gouverne nos vies, les pulsions sexuelles nourrissent notre énergique psychique. Et quiconque veut fuir cette réalité, se barricader derrière les principes surannés d’une morale puritaine, se condamne à de sévères retours de bâton. Comme une rivière en crue qu’aucune digue n’arrête plus, « l’instinct primitif » (c’est ainsi que Mrs C…, l’héroïne des Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, nomme la force du désir) submerge le présomptueux qui avait cru y échapper.
Ces 24 heures, si riches en événements, c’est cela : l’histoire d’une femme qui avait « définitivement », croyait-elle, réglé sa vie en éliminant les sollicitations du désir et qui s’y trouve brutalement confrontée à l’occasion d’une rencontre inattendue avec un jeune homme. Elle lutte vaillamment pour rester dans le droit chemin, se leurre sur ses motivations qu’elle croit altruistes, n’en finit pas de découvrir, stupéfaite, cette force qui la travaille au corps et qu’elle ne soupçonnait pas : « Mais ensuite, ce fut plus fort que moi, quelque chose m’entraîna : sans que je l’aie voulu, mon pied se mit en mouvement. »
Bien des évolutions se sont produites depuis l’époque (les années 20) où Zweig écrivit sa nouvelle : les moeurs, la condition féminine ont connu des changements considérables ; mais l’oeuvre de Zweig, et sa façon de mettre en lumière le surgissement de l’irrationnel dans nos vies, continue à nous questionner et à nous émouvoir singulièrement parce qu’elle touche à une réalité profonde, constitutive de notre être, que nous savons trop peu ou trop mal gouverner. Sophocle (dans l’oeuvre duquel Freud a abondamment pioché pour nommer ses concepts) nous le rappelle dans Antigone : « Aphrodite s’amuse et nous manoeuvre comme des enfants. »
René Loyon
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